Les grèves contre la réforme des retraites font trembler la bourgeoisie

Pour une grève générale pour écraser l'attaque de Macron !
Non à la collaboration de classe !

25 mars 2023

Le président de la République, Emmanuel Macron, a fait savoir en automne dernier que son gouvernement poursuivrait l'augmentation de l'âge de la retraite (de 62 à 65 ans, ensuite ramené à 64 ans) ainsi que le nombre de cotisations pour recevoir une pension à taux plein. En septembre, il a lancé son Conseil national de la refondation (CNR), visant à attirer des partis d'opposition ainsi que des représentants des syndicats et du patronat pour discuter d'une série de questions que le gouvernement entendait aborder. Un peu plus de quatre mois auparavant, Macron avait remporté un second mandat à la tête de l'État français lors d'un second tour l'opposant à la candidate d'extrême droite Marine Le Pen du Rassemblement national. Pourtant, les élections législatives qui ont suivi en juin n'ont pas permis d'obtenir une majorité pour le parti de Macron, La République en marche (bientôt rebaptisé Renaissance), et l'agenda politique des forces « centristes » semblait loin d'être assuré. Les principaux partis d'opposition et leaders du mouvement ouvrier (à l'exception des chefs de la CFDT, de la CFTC et de l’UNSA historiquement plus conciliants) a refusé de participer au CNR, mais a néanmoins assisté à une série de rencontres de « concertation » avec le ministre du travail, Olivier Dussopt, pour discuter de la volonté du gouvernement de refondre le système des retraites. L'alliée de Macron, la Première ministre Elisabeth Borne, a également poursuivi les discussions avec les dirigeants syndicaux avant de présenter le 10 janvier les grandes lignes du projet de loi de réforme des retraites. En plus de relever l'âge de la retraite de deux ans et d'accélérer une augmentation prévue des années de cotisation, le projet de loi promettait d’abandonner les régimes spéciaux des travailleurs des secteurs des transports et de l'énergie et encourager les seniors à travailler plus longtemps.

Conscient du caractère impopulaire de la réforme des retraites, le gouvernement avait espéré que l'inclusion des dirigeants syndicaux en « concertation » donnerait l'impression que le projet de loi représentait un compromis raisonnable. Cela n'a pas fonctionné et la population bouillonne de colère, provoquant la panique parmi des éléments de la classe dirigeante. Richard Ramos, un dirigeant du parti « centriste » MoDem, a averti : « On est sur une poudrière sociale, il ne faut pas que ce texte soit la mèche qui l'allume » (franceinfo, 18 janvier). Même les syndicats qui avaient participé au CNR se joignent désormais aux dirigeants des syndicats les plus « militants » (CGT, FO, Solidaires et la FSU) pour annoncer une journée d'action le 19 janvier pour protester contre la réforme des retraites (Le Monde, 10 janvier 2023). L’intersyndicale a été poussée à l’action par l’hostilité de masse aux plans du gouvernement—un sondage a indiqué que 93 % des actifs refusaient le relèvement de l'âge de la retraite (un autre sondage a montré que 68 % de la population totale s'opposaient au relèvement de l'âge de la retraite).

Comme lors des précédentes attaques majeures contre le système de retraite en 1995, 2003 et 2010 (voir « A bas les attaques contre les retraites ! », 1917 édition française n°5), le pari de Macron a déclenché une vague de grèves et de protestations. Selon les syndicats, 2 millions de personnes sont descendues dans la rue le 19 janvier, 2,8 millions le 31 janvier, 2 millions le 7 février et 2,5 millions le 11 février (dont un demi-million défilant à Paris), tandis que des travailleurs de divers secteurs ont fait la grève. Les grèves et les manifestations se sont poursuivies, bien que le nombre de manifestants soit tombé à 1,3 million le 16 février avant de remonter à 3,5 millions le mardi 7 mars. Des travailleurs ont bloqué les autoroutes, les raffineries et les transports à Paris et dans d'autres grandes villes, alors que la vague de grèves se propageait dans les secteurs public et privé. Effrayés par l'ampleur du mouvement, les dirigeants de l’intersyndicale ont délivré un communiqué de presse inquiet :

« Cela ne peut plus durer. Le silence du président de la République constitue un grave problème démocratique qui conduit immanquablement à une situation qui pourrait devenir explosive. En responsabilité, l’intersyndicale adressera un courrier lui demandant à être reçue en urgence pour qu’il retire sa réforme. »

Malgré les inquiétudes croissantes des cercles dirigeants selon lesquelles la situation devenait trop chaude, Macron a refusé l'offre de rencontrer les dirigeants syndicaux et son gouvernement a continué à faire adopter le projet de loi au Parlement. Une autre journée d'action, le 11 mars, a attiré plus d'un million de personnes en manifestation. Plus de 1,7 million de personnes ont manifesté le 15 mars, alors que les éboueurs (pour le dixième jour consécutif), les enseignants et d'autres travailleurs étaient en grève. La police a attaqué des manifestants avec « des charges et des gaz lacrymogènes dans plusieurs autres villes, dont Rennes et Nantes dans l'est [l'ouest] de la France et Lyon dans le sud-est » (PBS News Hour, 15 mars 2023). Le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, a averti que le ministère de l'Intérieur pourrait écraser la grève des éboueurs à Paris si la maire de la ville, Anne Hildalgo, refusait de le faire.

Pas sûr de sa capacité à faire passer la loi dans une Assemblée nationale pleine de législateurs nerveux, Macron a activé l'article 49.3 de la Constitution française le jour suivant (16 mars), lui permettant de contourner le parlement pour faire adopter à toute vapeur la réforme des retraites. L'ampleur de l'hostilité envers le gouvernement et de l'indignation face au contournement du parlement par le président est indiquée par un sondage mené immédiatement après l'annonce qui a révélé que 71 % de la population étaient favorables à la démission du gouvernement tandis que 65 % souhaitaient que la lutte contre la refonte continue. L’intersyndicale a répondu « avec gravité » en appelant à « des actions calmes et déterminées » pour bloquer la réforme, et a annoncé une autre journée d'action pour le 23 mars. Des manifestations spontanées ont éclaté dans tout le pays. A Paris, plus de 500 personnes ont été interpellées. Un étudiant, qui avait rejoint une marche pour soutenir les travailleurs sanitaires en grève, a déclaré aux journalistes après sa libération : « J’étais dans une cellule pleine à craquer de manifestants. Il y avait des étudiants, des salariés de la RATP, un retraité. A côté, dans une autre cellule, il y avait des lycéens. C’était le rassemblement de la France qui manifeste » (franceinfo, 20 mars 2023).

Le 23 mars, plus de 3,5 millions de personnes sont descendues dans la rue, selon la CGT. Au lieu de mettre fin au mouvement, la brutalité de Macron lui a insufflé un nouveau souffle. Les travailleurs de plusieurs industries dans tous les coins du pays se sont mis en grève, rejoints par des étudiants et des lycéens. Alors que la situation est devenue plus tendue, la police a été de plus en plus agressive dans l'exercice de son rôle répressif pour la classe dirigeante. À Paris, où 800 000 personnes ont manifesté, les flics ont utilisé des gaz lacrymogènes et blessé des manifestants, arrêtant plus de 100 personnes. Les dirigeants de l’intersyndicale ont lancé un appel pour une dixième journée d'action le 28 mars et ont indiqué leur espoir que la réforme des retraites puisse être annulée par référendum.

Lutte de classe, pas conciliation de classe

Si les dirigeants syndicaux avaient déclenché une grève générale, Macron aurait peut-être été contraint d'abandonner très tôt la réforme des retraites. Mais ils ont préféré engager des négociations en tant que « partenaires sociaux » avec le capital et l'Etat tout en réclamant des « journées d'action » échelonnées et des « reconductions » de grève dans des industries isolées. Au lieu de préparer une grève générale, cette stratégie a prolongé le conflit pendant plus de deux mois, menaçant de saper la capacité matérielle et psychologique de la classe ouvrière à paralyser l'économie jusqu'au retrait de la réforme des retraites.

Les responsables non seulement de la CFDT et des syndicats « réformistes », mais aussi de la CGT et des syndicats « militants » ont trop peur de l'énergie refoulée qui serait libérée par une grève générale. Se considérant comme des hommes d'État « responsables » du monde ouvrier, ces dirigeants sont en fait l'échelon supérieur d'une bureaucratie syndicale qui tente d’arbitrer la lutte de classe plutôt que de la pousser jusqu'à sa conclusion logique. Enracinée dans la classe ouvrière et s'appuyant sur une base prolétarienne dont les intérêts ne peuvent être satisfaits par le capitalisme, la bureaucratie syndicale bénéficie néanmoins de privilèges relatifs (bons salaires, avantages, autorité, prestige) issus du système, qu'elle n'a aucune envie de renverser. La plupart des bureaucrates préféreraient probablement ne pas voir l'âge de la retraite augmenter, ou mettre sous cocon les régimes spéciaux, mais ils préféreraient risquer une victoire pour Macron plutôt que de renoncer aux avantages que leur rôle de modérateur leur procure.

La contrepartie politique de la bureaucratie syndicale est la direction des partis qui prétendent, d'une certaine manière, s'inscrire dans la tradition de la classe ouvrière et/ou du socialisme, mais qui promeuvent au contraire la collaboration de classe et une stratégie électoraliste consistant à utiliser le parlement pour repousser des attaques. Le Parti socialiste (PS), le Parti communiste français (PCF) et le Parti de gauche (PG) de Jean-Luc Mélenchon, qui est la force centrale de La France insoumise (LFI) nationaliste de gauche, en sont les exemples les plus significatifs. Chacune de ces formations a voté pour Macron au second tour de l'élection présidentielle de 2022 puis s'est associée au « centre-gauche » Europe Ecologie-Les Verts (EELV) et à quelques formations petites-bourgeoises pour former la Nouvelle Union populaire écologique et écologique sociale (Nupes) en mai 2022. Ce front populaire classique (c'est-à-dire une coalition de partis ouvriers bourgeois et de partis ouvertement capitalistes) a privé Macron de sa majorité lors des élections législatives et détient désormais le deuxième plus grand nombre de sièges à l'Assemblée nationale. L'un des députés de la Nupes à l'assemblée législative est Jérôme Legavre, un dirigeant du Parti Ouvrier Indépendant (POI), l'un des deux groupes revendiquant le manteau du courant pseudo-trotskyste associé à feu Pierre Lambert (Mélenchon, dans sa jeunesse, était également membre de la tendance lambertiste). Le front-populisme est un poison politique pour la classe ouvrière—une idéologie dangereuse et démobilisatrice qui lie le prolétariat à la bourgeoisie et aide la bureaucratie ouvrière à saboter les luttes ouvrières. En 1936, Trotsky affirmait à juste titre que « le Front populaire est la question centrale de la stratégie de classe prolétarienne pour cette époque » et fournit « le meilleur critère pour la différence entre bolchevisme et menchevisme » (« Le POUM et le Front populaire »).

Les trotskystes authentiques cherchent à présenter une alternative de lutte de classe aux bureaucrates syndicaux « réformiste » et « militante ». L'une des armes de l'arsenal de la lutte des classes est la grève générale—une mobilisation totale et indéfinie de larges secteurs de la classe ouvrière dans le but de vaincre des attaques flagrantes, par exemple la réforme des retraites, les réductions de salaire par l'inflation. Puisqu'elle vise à libérer le pouvoir de la classe ouvrière, à éduquer les masses à utiliser l'action collective pour affirmer leur autorité sur la société, une grève générale, même à but limité, pose la question « quelle classe devrait gouverner ? ». La bureaucratie syndicale et son homologue front-populiste dans les partis politiques réformistes n'ont aucune intention de préparer les travailleurs à prendre le pouvoir aux capitalistes. Tout clin d'œil rhétorique qu'ils pourraient donner à une grève générale reflète simplement les pressions qu'ils ressentent émanant de leur base. Les trotskystes, en revanche, revendiquent avec force une grève générale lorsqu'il y a suffisamment de sentiment dans la classe ouvrière pour la mener à bien, comme c'est clairement le cas maintenant.

L'une des arènes les plus importantes pour une telle agitation de lutte de classe sont les assemblées générales (AG) du lieu de travail, qui sont des réunions de la base auxquelles tout travailleur, quelle que soit son affiliation syndicale, peut assister. En France, les AG poussent comme des champignons après une pluie battante, dans les périodes de luttes aiguës comme celle-ci, et ils discutent et votent pour faire grève, faisant souvent pression sur les bureaucrates syndicaux (qui sont également les bienvenus pour assister) d'acquiescer à des actions plus radicales qu'ils ne le souhaiteraient. Les AG ne résolvent pas le problème de la bureaucratie syndicale, et ils n'évitent pas les syndicats, mais ils constituent une forme parallèle d'organisation ouvrière que la bureaucratie ne peut pas contrôler aussi facilement—et qui offre aux militants de la lutte des classes une plus grande latitude pour promouvoir leurs idées et convaincre leurs collègues de prendre des mesures décisives. Dans le cadre de la poussée en faveur d'une grève générale, les trotskystes préconisent la création d'AG dans chaque lieu de travail et quartier ouvrier, ainsi que l'élection de délégués des AG aux organismes sectoriels et régionaux, jusqu'à un comité de coordination de la grève au niveau national. Nous appelons également à la création de détachements ouvriers d’autodéfense pour protéger les grèves et les manifestations contre les flics et les fascistes—ces détachements devraient eux-mêmes être directement soumis à l'autorité des AG.

Dans la lutte actuelle, le sabotage ouvert de la bureaucratie syndicale (aidée par la collaboration de classe et le réformisme des partis ouvriers bourgeois) est susceptible d'épuiser le mouvement, conduisant à une défaite amère dans un proche avenir et à la continuation du programme d'austérité de Macron. Il est concevable, cependant, que la perturbation prolongée de l'économie par des grèves militantes dans des secteurs stratégiques épuise le gouvernement, à grands frais pour les travailleurs concernés, et que la réforme des retraites soit retirée (ou non appliquée dans une manœuvre pour sauver la face). Compte tenu du calendrier de Macron pour la mise en œuvre de la retraite plus tard dans l'année, cependant, le gouvernement aurait l'avantage dans un conflit prolongé.

Une autre possibilité (quoique très improbable) est que, même en l'absence d'un large réseau d'AG et des comités de grève qui en émanent, la pression d'en bas suffira à briser les contraintes que les dirigeants syndicaux font peser sur la base, et une grève générale sera imposée à court terme. Si cela devait arriver, cela pourrait renverser le gouvernement Macron et déstabiliser tout le système bourgeois. Sans direction révolutionnaire de masse, le front populaire (c'est-à-dire une version de la Nupes, peut-être élargie à droite et/ou à gauche) pourrait intervenir pour rétablir l'ordre alors que la classe dirigeante rassemble ses forces derrière Rassemblement national et d'autres groupes d'extrême droite et formations fascistes. Plus que jamais, le besoin d'un parti socialiste révolutionnaire poursuivant la ligne de l'indépendance de classe se ferait vivement sentir.

Gauche « trotskyste » : suivre la bureaucratie syndicale et le front populaire

Il n'y a pas de véritable parti trotskyste aujourd'hui en France. Au lieu de cela, il existe des organisations concurrentes qui, à un degré ou à un autre, s'identifient (ou sont identifiées) au « trotskysme », mais qui en sont un piètre substitut. Ces organisations échouent à maintenir l'indépendance de la classe ouvrière vis-à-vis des partis bourgeois tout en suivant la bureaucratie syndicale (dans laquelle certains de leurs membres sont intégrés).

Le POI, centré sur un courant nominalement trotskiste issu de la tradition lambertiste, a consolidé sa descente dans le liquidationnisme en rejoignant ouvertement le front populaire. L'autre formation lambertiste, qui anime le POID plus à gauche (c'est-à-dire le POI « démocratique » associé à Daniel Gluckstein et Gérard Schivardi), n'offre pas de véritable alternative : tous deux ont occupé des postes de direction dans la bureaucratie syndicale FO et partagent un héritage marqué par adaptation au nationalisme français anti-UE. Lorsque le Parti des travailleurs (PT), ancêtre politique commun du POI et du POID, a présenté Schivardi à la présidence en 2007, nous avons écrit :

« Schivardi, ancien membre du PS et maire de la petite ville de Mailhac, s'est présenté comme un "candidat à la mairie" qui défendrait les intérêts des municipalités françaises contre la bureaucratie de l'Union européenne (UE). Daniel Gluckstein, le principal porte-parole du PT, a présenté cette campagne comme un pas dans la direction de la rupture de la "subordination" de la France à l'UE, qui "vide le suffrage universel de tout sens" (Informations ouvrières, 18-24 janvier [2007]). »
— « No to Popular Frontism! », 1917 N°30 [anglais]

Le Nouveau parti anticapitaliste (NPA), qui s'est scindé en décembre, a été lancé il y a près d'une décennie et demie dans une rupture consciente avec la tradition révolutionnaire revendiquée par ses fondateurs (voir « NPA : Nouveau Parti réformiste », 1917 édition française, n°5). L'année dernière, le NPA a refusé de prendre une position formelle sur un vote pour Macron au second tour de l'élection présidentielle, essentiellement ce qu'ils ont dit lors de l'élection de 2017 : « pas une voix ne devrait aller au vote Le Pen. Dimanche 7 mai [2017], beaucoup voudront faire barrage au FN [ancêtre du Rassemblement national] en votant Macron, nous le comprenons. Mais soyons aussi convaincu que Macron ne peut constituer un rempart durable contre le FN » (L’Anticapitaliste, n°381). Souligner l'impossibilité de voter pour Le Pen alors qu'il ne le fait pas pour Macron revient à cautionner un vote pour ce dernier, fût-ce avec mauvaise conscience.

Aucun des fragments du NPA (qui prétendent tous deux être le NPA) offre une perspective véritablement révolutionnaire. Le NPA, centré sur l'ancienne Plateforme B associée à Olivier Besancenot et Philippe Poutou—le plus grand et le plus réformiste de ces fragments—affirme vouloir « renforcer la confiance politique du prolétariat pour constituer une alternative au pouvoir bourgeois. La formule classique est celle du « gouvernement ouvrier » (« Construire la grève et gagner le combat politique contre Macron », 16 mars 2023). Pourtant, l'engagement du NPA à lutter pour un gouvernement ouvrier doit être évalué à la lumière du bilan de ses dirigeants en matière de soutien aux fronts populaires et même de vote pour des candidats bourgeois, par exemple Jacques Chirac en 2002 (« La LCR appelle à voter ‘contre Le Pen’ », Le Monde, 30 avril 2002). Quand LFI de Mélenchon (sous le couvert de l’Union populaire) a approché le NPA pour rejoindre ce qui deviendra plus tard la Nupes, le Comité exécutif du NPA a répondu par une lettre amicale :

« La question des élections législatives se pose autrement [qu' "un programme de rupture anticapitaliste et révolutionnaire, internationaliste"]. La raison essentielle est le constat du rapport de forces global, de l’urgence d’une riposte unitaire face à la classe dominante. De plus, il ne s’agit pas de voter pour un individu et un programme élaboré par un courant, mais pour 577 personnes, avec la possibilité de trouver des médiations, des équilibres, des compromis, autour une dynamique transcendant les logiques d’appareil et/ou boutiquières, tout en permettant que nos différentes positions politiques soient représentées. Pour toutes ces raisons, nous répondons favorablement à votre demande de rencontre pour discuter de la possibilité de candidatures communes aux élections législatives. »
— « Courrier du Nouveau Parti anticapitaliste à l’Union Populaire », 19 avril 2022

Ce qui a gâté la sauce pour la direction du NPA n'était pas le caractère interclassiste et nécessairement réformiste de l'« Union populaire », mais la possibilité, qui s'est réalisée, que le PS y participe.

Il n'est pas surprenant que, tout en prêtant occasionnellement attention à l'idée d'une grève générale, le NPA se contente de promouvoir une version un peu plus militante des journées d'action et « grèves reconductibles » de l’intersyndicale. Au lieu d'appeler clairement à une grève générale, le tract qu'il a publié juste avant le cinquième journée d'action, par exemple, a simplement observé que « nous ne pouvons pas laisser certains secteurs [de la classe ouvrière] entrer seuls dans la reconductible » (« Contre Macron et son monde, à partir des 7 et 8 mars, bloquer le pays, partout et en même temps ! », 14 février 2023).

Bien qu'il ait fait plus de bruit sur la nécessité d'une grève générale (voir « Notre motion de censure, c’est la grève Générale », 20 mars 2023), la direction de l'autre prétendant du nom du parti, associé à l'ancienne Plateforme C, est également complice du projet liquidateur du NPA. Les dirigeants de ce groupe cherchent à « continuer » le NPA qui, selon eux, « s'est toujours conçu comme un pôle de regroupement des révolutionnaires » (« Déclaration du congrès du NPA », 11 décembre 2022). En fait, le NPA a été fondé sur l'abandon même d'une identification nominale avec le trotskysme, c'est-à-dire le véritable socialisme révolutionnaire, et dès sa création, il a avancé une perspective réformiste. A la veille du lancement du parti, ses dirigeants ont signé une déclaration commune avec le PS, le PCF, le PG et le Mouvement républicain et citoyen (MRC) bourgeois affirmant qu' « un très grand débat public est nécessaire dans le pays sur les mesures alternatives aux choix politiques actuels qui permettront de s'attaquer réellement et efficacement aux racines de cette crise et d’imposer une autre répartition des richesses et un autre type de développement » (« Communiqué commun des organisations de gauche réunies le 4 février », 5 février 2009).

En juin 2021, environ 300 militants du NPA menés par la Fraction trotskyste-Quatrième Internationale (FT-QI, une tendance morénoiste centrée sur le Partido de los Trabajadores Socialistas argentin) ont quitté le parti et formé une organisation indépendante appelée Révolution permanente (RP). Lors des grèves contre la réforme des retraites en France, RP a pris une position militante : « Sans aucune ambiguïté, nous affirmons que, contrairement à ce que défend l’Intersyndicale, nous devrons bloquer le pays et construire la grève générale pour gagner » (« L’Intersyndicale, entre absence de détermination et recherche de compromis impossible », 11 mars 2023). Au second tour de l'élection présidentielle, le RP a également correctement adopté une position « ni Le Pen ni Macron ». Pourtant, les dirigeants du RP/FT-QI ont une histoire d'adaptation à la conscience réformiste des masses, comme en témoignent leurs appels répétés à une « assemblée constituante » dans des pays qui ont une longue expérience de la démocratie bourgeoise (voir « Sur l’assemblée constituante révolutionnaire », 1917, édition française, n°7).

L'autre courant « trotskyste » important en France est Lutte ouvrière (LO), qui dans la lutte actuelle a eu tendance à simplement souligner la nécessité de plus de grèves plutôt qu'une grève générale totale. LO a publié une feuille de slogans émis pour la journée d'action du 23 mars qui incluait le slogan un peu maladroit « Tous ensemble, tous ensemble, grève, grève », qui traditionnellement, et avec plus de fluidité, est « Tous ensemble, tous ensemble, grève générale ! ». Il manque ici plus que quelques syllabes. Les dirigeants de LO se sentent obligés de publier des déclarations qui incluent des références favorables à l'idée d'une grève générale (souvent formulée dans la terminologie de grèves « reconductibles »), mais leurs critiques de l’intersyndicale et sa tactique démobilisatrice des « journées d'action » sont peu enthousiastes. En effet, LO soutient que « Ces journées d’action sont un tremplin utile pour que le monde du travail retrouve confiance en lui » (« Le mouvement doit se développer et se renforcer », Lutte Ouvrière, n°2846).

A son crédit, LO a préconisé un vote blanc au second tour de l'élection présidentielle plutôt que de soutenir Macron (ou de laisser entendre qu'il serait acceptable de le faire), et elle a fait le lien évident entre la Nupes et le Front populaire de 1936, tous deux « au service de la bourgeoisie ». Mais LO a voté pour la candidature front-populiste de Ségolène Royal en 2007 et rejoint ensuite les listes de front populaire avec le PS, le PCF et les partis bourgeois le MRC, le Parti radical de gauche et les Verts pour les élections municipales de l'année suivante :

« Dans les circonstances politiques actuelles, Lutte Ouvrière souhaite qu'il y ait dès le premier tour une union de toutes les forces de gauche et elle est prête à y participer. Ses candidats se présenteront donc sur de telles listes d'union, sauf si le Parti Socialiste, le Parti Communiste ou les deux refusent cette alliance et préfèrent la division. Ce n'est que dans ce cas que Lutte Ouvrière présentera ses propres listes. »
— « Lutte Ouvrière et les élections municipales », Lutte Ouvrière, N°2060

Dans l'éventualité improbable de l'effondrement du gouvernement Macron et de la déstabilisation de l'ordre bourgeois, il n'est pas exclu que le POID, le NPA ou encore LO rejoignent un gouvernement de front populaire. Si cette idée semble trop dure et même offensante pour les militants de ces organisations, ils doivent considérer comment les actions passées et présentes de leurs dirigeants ont semé les graines de cette idée.

Créer un noyau bolchévique

Sans aucun doute, il y a des centaines, voire des milliers, d'éléments révolutionnaires subjectifs sincères à l'intérieur et autour des organisations de l'extrême gauche « trotskyste » en France. Le problème n'est pas simplement qu'ils sont dispersés dans un paysage politique fragmenté, mais qu'ils adhèrent à des organisations dont les dirigeants et les programmes sont incapables d'articuler une rupture avec le capitalisme. La situation peut parfois sembler désespérée, mais c'est parce que ces militants sont coincés dans un cadre adaptationniste qui ouvre des voies apparemment sans fin à la conciliation de classe. Les chamailleries entre les diverses organisations pseudo-trotskystes impliquent souvent d'importantes questions de principe, et il convient parfois de prendre parti pour un parti ou pour un autre dans un différend particulier. Mais ce qui ressort le plus clairement, c'est l'abandon partagé, à un degré ou à un autre, du principe d'indépendance ouvrière dans la quête d'une croissance rapide dans le contexte d'une avant-garde prolétarienne relativement large ouverte à l'idée de révolution socialiste. Conditionnant cette impulsion liquidationniste, c'est la proximité d'une partie de la direction de l'extrême gauche avec la bureaucratie syndicale.

Sortir de cette impasse organisationnelle et programmatique—et construire de fait un parti qui puisse servir de véritable pôle d'attraction pour l'avant-garde prolétarienne et défier le sabotage de la bureaucratie syndicale—implique de rassembler les meilleurs militants des groupes existants dans une nouvelle formation cohérente autour d'un programme authentiquement trotskyste. Plutôt que d'ajouter simplement un acronyme de plus à la liste, la tâche consiste à briser le moule en revenant à l'opposition intransigeante à la collaboration de classe associée à la Quatrième Internationale de Trotsky. À partir de maintenant, même avec un petit nombre de militants, il est possible de constituer un noyau bolchévique et—en s'engageant dans des actions de front unique pour la défense des retraites et autres acquis de la classe ouvrière et pour protéger les droits démocratiques des opprimés—d'agir en tant qu’un catalyseur pour le regroupement des forces révolutionnaires. Construire un parti révolutionnaire n'implique pas qu'un petit groupe aille « vers les masses » (bien que l'abstention de la lutte des classes soit inadmissible) mais doit plutôt se concentrer sur l'articulation, la défense et la promotion agressive d'un programme bolchévique. Un véritable parti trotskyste sera construit à travers un processus de scissions et de fusion, un processus de regroupement révolutionnaire, à la fois national et international, impliquant un engagement actif dans la lutte des classes et, plus important encore, plaçant le programme au-dessus des gains organisationnels.


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