La lettre suivante a été envoyée à l’Internationalist Group le 8 juin 2012.
Camarades,
C’est avec plaisir que nous apprenons que vous avez soulevé la question de la solida-rité avec la grève étudiante au Québec lors des manifestations à CUNY [Université de la Ville de New York] les 10 et 18 mai [2012]. Nous partageons votre avis sur le fait que « Pour gagner la grève, il faut indispensablement l’étendre au mouvement ou-vrier » (« La grève étudiante québécoise : il faut vaincre l’attaque capitaliste », 20 mai [2012]), et que la perspective de forger un parti ouvrier révolutionnaire à l’échelle mondiale nécessite une lutte politique soutenue contre la poison que représente l’idéologie réformiste/nationaliste de la bureaucratie syndicale.
Cependant, votre soutien à « l’indépendance du Québec dans le cadre d’une fédération des États ouvriers de l’Amérique du Nord » (Ibid) est gravement erroné, surtout dans le contexte de la lutte en cours. Vous avez hérité cette position de la Spartacist League/Ligue communiste internationale (SL/LCI), qui a rejeté son analyse première (et juste) de la relation entre la question nationale québécoise et la révolution nord-américaine.
Les nationalistes soutiennent l’indépendance comme fin en soi, là où les léninistes abordent la question nationale dans la perspective de voir comment faire avancer au mieux la lutte des classes. La position élaborée par la SL dans sa période révolutionnaire (celle que nous maintenons encore aujourd’hui) reconnaît que les Québécois ont un droit inaliénable à l’autodétermination, soit le droit à se séparer du Canada pour former un nouvel Etat. Le devoir des marxistes au Canada anglais, dans l’éventualité que les Québécois décident de se séparer, serait de défendre ce droit par tous les moyens possibles. Les marxistes ne revendiqueraient cependant la séparation immédiate que dans le cas où les antagonismes nationaux auraient si gravement empoisonné les relations qu’une lutte de classe commune serait devenue impossible.
Dans Spartacist [édition anglaise] n° 52 [1995], la LCI a prétendu que « la lutte prolétarienne réussie [au Québec et au Canada anglais] exige une séparation en deux Etats-nations indépendants ». Le même article affirme que « La reconnaissance par les travailleurs de chaque nation que leur dirigeants capitalistes respectifs—et non pas les travailleurs de l’autre nation—, sont l’ennemi ne peut se développer qu’avec l’indépendance du Québec ». Cette appréciation pessimiste et objectiviste s’est vue démentie à plusieurs reprises dans le cours de la lutte des classes. La grève des cheminots à Canadien Pacifique (qu’un décret du gouvernement fédéral conservateur le 30 mai [2012] force à reprendre le travail) n’est que le plus récent exemple d’une lutte de classe commune des travailleurs anglo-canadiens et québécois.
Dans une optique léniniste, préconiser l’indépendance du Québec aujourd’hui est encore moins logique qu’il ne l’était au milieu des années 1990, vu l’énorme baisse de soutien populaire pour la séparation. La répudiation par la LCI de la position historique de la Tendance spartaciste a représenté un abandon du trotskysme motivé par la démoralisation politique et, de fait, une manifestation de ce que l’Internationalist Group a décrit dans un autre contexte comme la « dérive [de la SL] vers l’abstentionnisme », qui aboutit à sa « désertion de la lutte des classes ».
Votre dernière déclaration décrit avec raison la grève étudiante en cours comme « la plus grande mobilisation étudiante de l’histoire du Québec et une des plus acharnées luttes sociales au Canada des dernières décennies » (Op cit). Cette lutte anti-austérité de masse—désormais de portée internationale—, dément sans appel l’idée selon laquelle des luttes sociales importantes soient impossibles sans indépendance. Les étudiants grévistes francophones voient bien que l’ennemi immédiat n’est pas la bourgeoisie anglo-canadienne basée à Toronto et Ottawa, mais plutôt la bourgeoisie québécoise représentée par le gouvernement libéral de Jean Charest à Québec. Que le symbole de la grève étudiante soit non pas la fleur de lys mais le carré rouge n’est pas le fait du hasard.
Constatant les effets de la lutte étudiante, le Globe and Mail de Toronto (2 juin [2012]) fait observer que « nous assistons à une sorte de "grand réveil", suscitant une discussion publique de l’ordre de ce que les Québécois appellent un débat de so-ciété » :
« Bien plus que la hausse des frais de scolarité et les mesures légales im-posées pour plus strictement régler les manifestations, les Québécois marchent contre le tarissement d’occasions économiques, la corruption et l’opinion répandue selon la-quelle leurs dirigeants libéraux sont fatigués et déconnectés. »
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« Les politiques nationaliste et progressiste vont souvent de pair au Québec, mais il ne semble pas qu’il y ait la moindre résurgence du mouvement souverainiste à l’horizon—la question ne s’est virtuellement pas présentée. »
La position développée par la Tendance spartaciste révolutionnaire des années 1970 avait comme prémisse une reconnaissance de l’énorme importance stratégique potentielle des liens qui existent entre la classe ouvrière québécoise historiquement plus militante et prompte à l’action et son homologue au Canada anglais (et, au travers de ce dernier, le prolétariat américain). La résistance de masse en cours par les étudiants québécois contre l’austérité commence à trouver un écho au Canada anglais, et cela inquiète les dirigeants anglo-canadiens. Le Globe and Mail du 2 juin [2012] a remarqué : « Après des centaines de manifestations [au Québec]—dont plusieurs ont attiré des foules de 100 000 ou encore plus—, des manifestations commencent à surgir ça et là dans d’autres villes canadiennes, ce qui conduit bon nombre à suggérer que la contestation au Québec perdurera des mois durant et que le reste du Canada peut attendre son propre réveil ». Des rassemblements de soutien ont été organisés de part et d’autre du Canada anglais, d’Halifax à Vancouver. A Toronto, ces manifestations ont attiré des milliers de personnes.
Ce n’est pas la première fois que des luttes commencées au Québec se répandent au Canada anglais, comme nous l’avons documenté dans Trotskyist Bulletin n° 7, qui comprend la transcription d’un débat sur cette question que nous avons eu avec l’affilié canadien de la LCI en 1999. Nous vous suggérons de réévaluer votre position et de reconnaître que, dans le contexte actuel, il vaut mieux laisser les appels à l’indépendance aux nationalistes petits-bourgeois et leurs valets faux socialistes.
Salutations léninistes,
Tendance bolchévique internationale