Le texte suivant est une traduction d’un article mis sur www.bolshevik.org le 7 février, avant le départ de Moubarak.
La chute de Zine el-Abidine Ben Ali, dictateur de longue date de la Tunisie, a remué fortement le monde arabe et déclenché une révolte populaire en Egypte, le pays le plus peuplé et aussi politiquement le plus important de la région. La puissante classe ouvrière égyptienne, engagée depuis une décennie dans des luttes militantes, joue un rôle clé dans les manifestations de masse secouant le pays. Des ouvriers appartenant à la Fédération générale des syndicats égyptiens contrôlée par l’Etat ont défié leur direction en lançant au niveau national un arrêt de travail « illégal ».
La colère des masses et leur volonté de risquer leurs vies dans la lutte pour renverser la dictature exécrée de Hosni Moubarak se sont affirmées à plusieurs reprises au cours des deux semaines passées. La puissance sociale objective du prolétariat en fait le dirigeant naturel de tous les opprimés dans le combat pour briser l’Etat policier égyptien, et ainsi casser les chaînes de l’impérialisme mondial. Or pour remplir ce rôle, le mouvement ouvrier a besoin d’une direction révolutionnaire, un parti léniniste armé du programme de la révolution permanente. Malheureusement, un tel parti n’existe pas encore, même pas en embryon.
Moubarak est depuis longtemps un des atouts régionaux les plus prisés de l’impérialisme US. Les 1,5 milliards de dollars « d’aide » (pour la plupart militaire) octroyés annuellement à l’Egypte par Washington sont sans pareil à l’exception d’Israël. Au début, la politique US était de faire comme si rien ne se passait, comme le démontre la déclaration du 25 janvier de la secrétaire d’Etat Hillary Clinton, affirmant que le régime de Moubarak était « stable ». Lorsque quelques jours plus tard des jeunes manifestants ont débordé les forces de sécurité et réussi à brûler une multitude de commissariats de police (ainsi que la siège politique du parti de Moubarak), les parrains de l’homme fort égyptien ont à contrecœur conclu qu’il était temps de commencer à parler d’une « transition ordonnée ». Actuellement ils penchent pour un « nouveau » régime avec à sa tête Omar Souleimane, l’homme de main en chef de Moubarak (et numéro un pendant longtemps du Service de renseignement égyptien) qui s’engage dans des négociations avec les très réactionnaires Frères musulmans et autres figures prétendument opposées à la dictature.
Dans l’hypothèse où l’option Souleimane avorte, la classe dirigeante égyptienne pourrait être amenée à tenter l’expérience d’une pseudo-démocratie menée par Mohamed El Baradei (l’ex-chef de l’Agence internationale de l’énergie atomique de l’ONU) ou une potiche équivalente. Un tel régime ne serait guère plus qu’une feuille de vigne pour masquer l’horrifique appareil d’Etat militaro-policier. Si une solution « démocratique » s’avère impossible à planifier, le choix ultime pour les dirigeants de l’Egypte sera un putsch militaire.
Le 2 février, dans une tentative de mater la force croissante des manifestations, la police politique de Moubarak a lâché plusieurs milliers de braqueurs dans une attaque organisée contre les dissidents installés sur la place Tahrir du Caire, le foyer du soulèvement. Plusieurs participants furent tués et il y eut de nombreux blessés, mais les manifestants ont riposté par la création d’unités d’autodéfense improvisées et sont parvenu à repousser les assauts. L’armée égyptienne, qui avait déclaré auparavant qu’elle ne tirerait pas sur les manifestants, n’a rien fait pour barrer la route aux sbires meurtriers du régime. Ce fait a sans doute été un révélateur de choc pour des manifestants naïfs, eux qui scandaient quelques jours auparavant : « le peuple et l’armée, nous ne faisons qu’un ». La notion que l’armée, dont les galonnés ont soutenu la dictature pendant des décennies, ait prit le parti du peuple et de la démocratie est une illusion dangereuse. Le règne de Moubarak a toujours reposé sur la police, les services de renseignement et les forces militaires. Considérées toutes ensemble, ces institutions constituent le noyau de l’Etat. Toute amélioration importante des conditions de vie des masses impose la destruction (ou « écrasement ») de la machine à répression des capitalistes. Ecraser l’Etat capitaliste impliquera la scission de l’armée en gagnant les appelés des rangs subalternes au camp de l’insurrection.
Beaucoup ayant souffert sous Moubarak s’imaginent que des élections libres mettront fin à la misère généralisée. Quelques-uns appellent à une assemblée constituante pour ébaucher une nouvelle constitution démocratique. Les marxistes appuient les aspirations démocratiques des masses tout en insistant sur le fait qu’une assemblée constituante capable de balayer le règne autocratique exige le renversement révolutionnaire du régime actuel. La question fondamentale posée en Egypte aujourd’hui est de savoir quelle classe va dominer. Pour progresser, la révolte anti-Moubarak doit commencer par établir de nouvelles institutions qui permettront aux ouvriers et aux pauvres d’exercer leur pouvoir. Une phase essentielle de cette quête est l’établissement de nouveaux syndicats indépendants des patrons et de leur Etat. Il s’impose aussi de mettre sur pied des conseils de délégués provenant de différents lieux de travail et quartiers ouvriers disséminés dans le pays, comme l’ont fait les travailleurs russes au cours des révolutions de 1905 et 1917. Une autre mesure indiscutable est l’organisation de détachements armés d’autodéfense dans chaque entreprise et quartier ouvrier ainsi que de comités locaux pour acquérir et distribuer des vivres, de l’eau et autres produits de première nécessité. De telles institutions peuvent former la base d’un nouvel appareil d’Etat consacré à la promotion et protection des intérêts des travailleurs et de tous les opprimés. Deux revendications clés dans la lutte contre la tyrannie de Moubarak sont que tous ceux qui sont emprisonnés pour leur opposition politique à la dictature soient libérés immédiatement, et que les principales figures de l’ancien régime soient jugées par des tribunaux ouvriers.
Le problème fondamental auquel font face les masses égyptiennes aujourd’hui peut être décrit comme une « crise de direction ». Les travailleurs et les jeunes au premier plan de la lutte sont déterminés non seulement à en finir avec le régime actuel, mais à se libérer du poids des oligarques qui possèdent et contrôlent la très grande majorité de la richesse du pays. Cette détermination est une condition nécessaire, mais non pas suffisante, pour la reconstruction fondamentale (c’est-à-dire révolutionnaire) de la société égyptienne. Le préalable pour la révolution sociale, c’est la création d’un parti ouvrier révolutionnaire capable de fournir une direction à la lutte pour déraciner le système social qui a engendré Moubarak.
Un parti révolutionnaire en Egypte chercherait à résoudre la question de la misère des masses en revendiquant l’expropriation immédiate des biens de Moubarak (qui a réussi à s’amasser une fortune personnelle de quelques 40 milliards de dollars dans un pays où 40 pour cent de la population joint les deux bouts avec moins de deux dollars par jour). Tous les biens mal acquis des amis bourgeois corrompus de Moubarak devront eux aussi être saisis immédiatement, mais il est nécessaire d’aller au-delà du dictateur sanglant et son cercle immédiat et d’exproprier la classe capitaliste toute entière. Ceci rendrait possible la résolution du chômage chronique dont souffre la jeunesse égyptienne, des soucis plébéiens sur l’alimentation, le logement, les services de santé et d’éducation, à travers l’introduction de la planification économique.
Les autorités essayent de gagner du temps, de regagner le contrôle des rues en jetant aux manifestants quelques concessions insignifiantes. Washington s’inquiète de l’instabilité dans la région et voudrait donc trouver un moyen politique, plutôt que militaire, pour refouler les manifestations. La seule issue pour les travailleurs et jeunes de l’Egypte passe par la création d’une organisation de combat bolchévique disciplinée et formée sur le modèle du parti dirigé par Lénine et Trotsky qui mena les ouvriers russes à la victoire en Octobre 1917.
A bas la dictature Moubarak/Souleimane !
Pas de soutien à El Baradei ou aux Frères musulmans !
Impérialistes : bas les pattes devant l’Egypte !
Pour l’indépendance de la classe ouvrière des patrons et leur Etat !
Pour un parti ouvrier révolutionnaire en Egypte !
En avant vers un Etat ouvrier égyptien dans une Fédération socialiste du Moyen-Orient !