Un des plus importants progrès apporté par la Révolution française était l’émancipation juive, un processus initié en 1791 lorsque l’Assemblée nationale, suite à un débat considérable, décréta que dorénavant les Juifs bénéficieraient d’une égalité légale complète avec leurs concitoyens. Au cours de la décennie suivante les campagnes victorieuses des armées françaises abolirent le statut spécial et inférieur des Juifs dans la plus grande partie de l’Europe. Les champions des « liberté, égalité, fraternité », refusant l’idée que les « droits naturels de l’homme » dépendent de race ou credo, cherchaient à créer un Etat dans lequel tout citoyen puisse être égal devant la loi.
Les créateurs de l’Etat d’Israël avaient des aspirations entièrement différentes. Ils rêvaient d’un Etat juif ethniquement exclusif. Aujourd’hui en Israël il n’y a pas égalité des droits entre citoyens—les Juifs jouissent de privilèges spéciaux et reçoivent un traitement préférentiel dans l’éducation, l’emploi, le logement, la propriété terrienne et la plupart des autres domaines de la vie. Les Palestiniens qui ne furent pas expulsés de leur pays ancestral en 1947-48, et qui vivent actuellement en Israël, sont citoyens de deuxième classe.
Edward Herman de l’Université de Pennsylvanie fait observer qu’un Etat qui traiterait sa minorité juive comme le fait Israël sa population arabe serait universellement honni. Si, par exemple, la France refusait de permettre à ses citoyens juifs de louer des logements, acheter des terres ou lancer des entreprises dans 90 pour cent du pays ; si elle refusait l’entrée des Juifs dans l’armée (les laissant ainsi inéligibles pour bien des subventions gouvernementales) ; si la police française infligeait régulièrement la torture exclusivement à ses détenus juifs, la France serait (à juste titre) dénoncée pour un antisémitisme abominable. Or, c’est exactement ainsi qu’Israël traite ses citoyens palestiniens.
Depuis un certain temps la classe dominante sioniste poursuit envers les Palestiniens une politique graduelle de « nettoyage ethnique » dans une grande partie des Territoires occupés. Ces jours-ci à la conférence sioniste annuelle de Herzliya, politiciens, universitaires et responsables de sécurité discutent ouvertement de la « menace démographique » que poserait le taux de naissance supérieur de la minorité arabe d’Israël. Des « solutions » racistes variées sont évoquées … de la réduction du taux de naissance palestinien jusqu’à la déportation et le transfert de populations entières.
Voilà une vingtaine d’années, seul le parti fascisant Kach de Meir Kahane parlait d’un « transfert » (euphémisme pour expulsion forcée) de la minorité palestinienne d’Israël. Mais les temps ont changé. Alors qu’autrefois les apologistes d’Israël niaient que les 750 000 civils palestiniens partis d’Israël en 1947-48 aient été chassés par la terreur, à présent sionistes de droite comme « de gauche » soufflent qu’il serait peut-être temps de « terminer le boulot ». Benny Morris, un des « nouveaux historiens » du pays, dont les travaux exposent les crimes des pères fondateurs d’Israël contre les Palestiniens, vient de décider que dans ce cas « une bonne cause dans sa finalité, considérée dans sa totalité, justifie des actes sévères et cruels ». Cette mentalité pathologique est commune à tout « nettoyeur ethnique ».
Ce qui suit est une version légèrement rédigée d’un discours donné à Toronto par Tom Riley le 4 octobre 2003.
Il y a un siècle, au temps où l’Empire ottoman (turc) contrôlait toujours une grande partie du Moyen-Orient, il n’y avait pas de cycle de violence entre Juifs et Arabes dans la Terre Sainte. Une petite communauté juive coexistait paisiblement au sein d’une société majoritairement musulmane, tout comme elle l’avait fait pendant au moins 1 500 années. Des communautés juives fleurissaient dans pratiquement toutes les villes arabes dans la région. L’état des choses est de nos jours bien différent, et je veux aborder les raisons qui en sont la cause, ainsi que la voie pour arriver à une « paix » juste et équitable pour tous les peuples du Moyen-Orient.
Le Moyen-Orient joue un rôle déterminant dans la politique mondiale d’aujourd’hui pour une seule raison—le pétrole. Selon Noam Chomsky, un document de 1945 du Département d’Etat [ministère des Affaires étrangères] US décrit les champs pétrolifères de la région comme « une source prodigieuse de pouvoir stratégique, et un des plus importants butins matériels dans l’histoire du monde ». L’histoire du golfe Persique au cours du siècle dernier a été définie en grande partie par la lutte des puissances impérialistes variées pour le contrôle dudit butin. Ceci n’est pas sur le point de changer, comme l’observe un commentateur informé :
« Aussi vital que soit le golfe Persique à présent, son importance stratégique croitra au cours des 20 ans à venir. Près d’un baril sur trois des réserves pétrolières du monde se trouve en dessous de seulement deux pays : l’Arabie saoudite (avec 259 milliards de barils de réserves prouvées) et l’Irak (112 milliards). Chiffres qui sous-estiment les réserves en grande partie inexplorées de l’Irak, pays qui pourrait selon les estimations du gouvernement US renfermer jusqu’à 432 milliards de barils.
« Avec l’exhaustion des réserves d’autres régions, dont surtout celles des Etats-Unis et la mer du Nord, le pétrole de l’Arabie saoudite et l’Irak gagne beaucoup en importance—réalité dûment notée dans la Politique énergétique nationale de l’administration, publiée en 2001 par un groupe de travail mis sur pied par la Maison Blanche. Selon le document, le golfe fournira déjà en 2020 entre 54 et 67 pour cent du brut mondial, et sera donc une région “d’intérêt vital pour les USA”. »
—Robert Dreyfuss, « The Thirty-Year Itch », Mother Jones, mars/avril 2003
La Première Guerre mondiale, premier grand conflit interimpérialiste, opposa l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie et la Turquie à la Grande-Bretagne, la France et la Russie. Le Moyen-Orient ne fut qu’une arène mineure de cette lutte pour la domination mondiale, mais les Britanniques firent de sérieux efforts pour y déclencher une révolte arabe contre le règne turc. (Ceci fut l’objet du film oscarisé de 1962 « Lawrence d’Arabie » avec Peter O’Toole.) Les Britanniques promirent aux Arabes l’autogouvernance après la guerre à la condition d’une défaite turque.
Soudain, en février 1917, au beau milieu de la guerre, le Tsar russe fut renversé et une succession déroutante de républicains, libéraux et « socialistes modérés » prirent la barre à tour de rôle. Les dirigeants britanniques craignaient que la Russie se retire unilatéralement de la guerre et permette ainsi au haut commandement allemand d’engager toutes ses troupes sur le front de l’Ouest. Le Bureau des affaires étrangères britannique était tout à fait au courant du rôle considérable joué par les Juifs dans l’aile du mouvement socialiste russe, et dans une tentative d’affermir le gouvernement pro-guerre « socialiste » d’Alexandre Kerenski contre les bolchéviques irresponsables, le secrétaire d’Etat des Affaires étrangères britannique, Arthur Balfour, s’engagea à créer une patrie juive en Palestine. Mais la « Déclaration Balfour » ne suffit pas pour sauver Kerenski, qui fut renversé cinq jours après sa publication. Une des premiers actes du nouveau gouvernement révolutionnaire fut d’extraire la Russie de la guerre. Les Alliés gagnèrent tout de même, ce qui permit à la Grande-Bretagne de s’emparer de la plupart du territoire ottoman au Moyen-Orient, à l’exception du Liban et de la Syrie, qui revinrent à la France.
Les Britanniques accueillirent à bras ouverts l’immigration en Palestine de Juifs européens parce qu’ils considéraient les colons sionistes comme alliés possibles dans la défense du canal de Suez et d’autres possessions impériales dans la région. Entre 1918 et 1932 la population juive de Palestine tripla pratiquement, passant de 65 000 à 180 000 habitants. Celle-ci augmenta encore davantage suite à la prise de pouvoir nazie de 1933 en Allemagne. Toutes les grandes « démocraties », y compris la Grande-Bretagne, le Canada et les Etats-Unis, montraient des politiques d’immigration ouvertement antisémites et n’accueillaient qu’un nombre infime de réfugiés juifs. La Palestine était un des seuls endroits possibles d’accueil pour les Juifs allemands, et donc en 1940, la population juive comptait 450 000 personnes.
Cet immense afflux alarma la population arabe autochtone, et contribua largement à déclencher la révolte arabe de 1936-39 contre le règne britannique. La rébellion fut finalement écrasée par l’Armée britannique avec le concours d’auxiliaires sionistes. Elle inquiéta néanmoins les décideurs politiques de Londres. Une guerre avec l’Allemagne s’approchait visiblement, alors le gouvernement britannique, sachant que les Juifs ne pourraient jamais soutenir Hitler, se décida à regagner les faveurs des Arabes. Un Livre blanc, paru en mai 1939, renonçait à toute intention de découper la Palestine entre Arabes et Juifs et promit au contraire de créer un Etat palestinien indépendant en l’espace d’une décennie, limiter davantage l’immigration juive et faire en sorte que la population juive du territoire ne dépasse pas le tiers du total. En 1938 Tony Cliff, qui formera plus tard la Tendance socialiste internationale de « troisième camp », commenta ce développement dans le journal théorique trotskyste américain :
« Une illustration démontrera nettement comment la lutte contre l’immigration juive corrompt la lutte anti-impérialiste : il y a peu de temps des rumeurs se sont répandues en Palestine selon lesquelles le gouvernement était sur le point de mettre fin à l’immigration juive ; sur quoi les Arabes ont organisé des manifestations joyeuses où on criait : “Vive Chamberlain !” “Vive l’Angleterre !” “Le gouvernement est avec nous !” »
—« Class Politics in Palestine », New International, juin 1938
Après la guerre il y eut un autre afflux de Juifs en Palestine—les « personnes déplacées » ayant survécu aux camps de la mort d’Hitler. Très peu d’entre eux étaient sionistes, et la plupart auraient préféré aller aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne, mais les démocraties occidentales les refusèrent de nouveau. Le titre du livre d’Irving Abella, None is Too Many [Aucun, c’est encore trop] résume l’attitude du gouvernement canadien sur l’immigration juive à l’époque. Le New York Times du 30 août 1948 nota :
« L’opinion quasi-universelle des experts sur la question des réfugiés ayant observé les procédures en Allemagne est que les autorités consulaires [américaines] sont plus réticentes pour l’accueil des personnes déplacées que pour celui des Allemands. »
Il était bien plus facile pour d’ex-nazis (qu’on jugeait anticommunistes et donc politiquement fiables) d’entrer aux Etats-Unis et au Canada que pour leurs victimes.
Les tentatives britanniques de limiter l’immigration juive en Palestine conduisirent à un conflit avec les colons sionistes qui menèrent une campagne de terreur contre l’administration coloniale. La classe dominante britannique, proche de la faillite en fin de guerre, était en train de céder le gros de ses possessions coloniales et annonça son intention de quitter la Palestine en mai 1948. La naissante Organisation des Nations unies proposa une partition qui donna à la minorité juive la plupart du territoire. Ce crime fut appuyé par les USA et aussi avalisé par Joseph Staline, qui espérait en tirer à court terme quelque avantage diplomatique. En fait, l’Union soviétique fut le premier Etat à reconnaître officiellement l’Etat d’Israël.
Les trotskystes, et c’est à leur crédit, s’opposèrent à la partition et dénoncèrent les projets sionistes pour un Etat juif exclusif comme réactionnaires. Même s’ils étaient peu nombreux, les trotskystes palestiniens avaient une organisation ethniquement intégrée—à peu près un quart arabe et le reste juif. Les trotskystes prirent une position de défaitisme révolutionnaire vis-à-vis des deux camps dans la guerre de 1948, durant laquelle sionistes et dirigeants arabes coopérèrent au dépeçage des zones que l’ONU avait attribué aux Palestiniens. Cette « guerre » sioniste consista principalement en un nettoyage ethnique sanglant de Palestiniens, le cas le plus infâme étant le massacre de 250 civils dans le village de Deir Yassine par l’Irgoun de Menahem Begin en avril 1948. En 1980, lorsqu’il était premier ministre d’Israël, Begin célébra ce crime en rasant les ruines vestigiales du village et érigea une nouvelle implantation juive à cet emplacement, baptisant ses rues du nom des unités Irgoun qui commirent le massacre. Environ la moitié des Palestiniens (quelque 700 000 personnes) furent chassés de leurs terres ancestrales par la terreur sioniste en 1948.
Un élément tragique de la destruction de la Palestine en 1948 fut qu’un grand nombre des pogromistes sionistes qui commirent ce « nettoyage ethnique » étaient les survivants brutalisés de la destruction nazie de la communauté juive européenne—sans aucun doute un des crimes les plus épouvantables de toute l’histoire. Les Juifs dans la diaspora figuraient parmi les éléments les plus cosmopolites, les mieux éduqués et disposant d’un bagage politique de qualité, et ce, quelque soit la société dans laquelle ils avaient vécu. Tout comme en Amérique du Nord et en Europe, les militants juifs avaient joué un rôle disproportionnément important dans le mouvement socialiste du monde arabe. Par exemple, Henri Curiel, leader du Parti communiste égyptien pendant les années 1940, était Juif. Mais aujourd’hui la majorité de la communauté juive mondiale a subi l’intoxication du sionisme, l’idéologie des oppresseurs des Palestiniens.
Les guerres israélo-arabes de 1967 et 1973, comme celle de 1948, furent par essence des conflits réactionnaires entre bourgeoisies arabes et sioniste dans laquelle les révolutionnaires étaient pour la défaite des deux intervenants. En 1967, Israël s’empara de la Cisjordanie (que la Jordanie avait pris de la Palestine en 1948) prit, de l’Egypte, la bande de Gaza et le Sinaï, et de la Syrie, le plateau Golan. La plupart de la gauche réformiste et centriste prit le parti des régimes arabes prétendument « anti-impérialistes ». Des faux-trotskystes tels qu’Ernest Mandel et Gerry Healy rejoignirent les staliniens pour acclamer une supposée « Révolution arabe » dans laquelle cheiks, colonels, et autres oppresseurs des peuples arabes joueraient le rôle d’agents d’une dynamique « objectivement » révolutionnaire. De nos jours, la plupart des régimes arabes s’étant engagés comme exécutants des programmes d’ « ajustement structurel » du FMI, il n’est plus possible d’entretenir de telles illusions.
Le Moyen-Orient est une région dotée d’immenses richesses qui, sous la domination de l’impérialisme, sont employées pour l’enrichissement des capitalistes étrangers (en décomptant une aumône destinée à leurs agents locaux dans les élites dirigeantes). L’Organisation de libération de la Palestine (OLP) de Yasser Arafat, qui autrefois se voulait mouvement « révolutionnaire » engagé dans une lutte contre l’ « impérialisme », est largement reconnue comme n’étant rien de plus qu’un rassemblement de nationalistes petit-bourgeois aspirant à jouer le rôle d’exploiteurs de leur propre peuple.
La « lutte armée » de l’OLP dans les années 1960 et 70—détournements d’avion et quelques raids à petite échelle en Israël—ne fut jamais une véritable menace pour l’Etat sioniste. A travers elle, la direction de l’OLP entendait attirer l’attention internationale sur la misère des Palestiniens et faire pression sur les dirigeants arabes pour qu’ils apportent à leur cause un plus grand soutien. Si jamais la bourgeoisie arabe ait manifesté une sollicitude quelconque pour la souffrance des Palestiniens, ce ne fut que pour déplacer à l’étranger la colère des masses contre leur propre bourgeoisie. Les régimes arabes comme le régime sioniste sont les ennemis, et non pas les alliés, des Palestiniens ainsi que de leurs propres peuples.
En 1970 le régime du roi Hussein de Jordanie assassina plus de 10 000 Palestiniens lors de l’ignoble massacre du « Septembre noir », et repoussa l’OLP au Liban. En 1982 Israël lança un assaut d’envergure contre le Liban (l’Opération « Paix en Galilée ») dans l’intention de détruire l’OLP une fois pour toutes. Au moins 17 000 civils périrent dans la féroce offensive sioniste et le siège subséquent de Beyrouth-Est, là où était retranchée l’OLP.
Yasser Arafat, tête de l’OLP, appela à l’envoi des troupes impérialistes de l’ONU pour protéger les Palestiniens. Pratiquement toutes les tendances de gauche réformistes et centristes considérèrent cette demande comme la seule option « réaliste », mais dès l’arrivée des « soldats de la paix » onusiens, ceux-ci (sous le commandement US) désarmèrent les militants de l’OLP pour les exiler en Tunisie, laissant ainsi à Ariel Sharon, alors ministre israélien de la « Défense » et de nos jours premier ministre, les mains libres pour organiser le massacre dans les camps Sabra et Chatila de 2 000 réfugiés palestiniens sans défense.
Les troupes US qui restèrent au Liban après le départ de l’OLP s’impliquèrent dans la sordide guerre civile libanaise, épaulant avec les Israéliens le gouvernement phalangiste chrétien. En Octobre 1983 des kamikazes Jihad islamique à bord d’un camion firent sauter les casernements des Marines US (et frappèrent simultanément le cantonnement des parachutistes français). Le président Ronald Reagan jura que les Etats-Unis ne plieraient pas bagage, mais, quelques mois plus tard, voilà exactement ce qu’ils firent. Les révolutionnaires défendirent les attentats qui délogèrent les impérialistes—sans accorder le moindre soutien politique aux fanatiques islamistes qui les réalisèrent—tout comme aujourd’hui nous accueillons favorablement tout coup porté contre les forces sionistes dans la bande de Gaza et en Cisjordanie, ou contre les troupes de « coalition » impérialistes en Irak et Afghanistan, par des forces autochtones.
Il y eut en Israël une opposition considérable à l’invasion et à l’occupation du Liban. Comme les soldats américains au Vietnam, beaucoup d’appelés israéliens furent profondément troublés par les crimes de guerre sionistes contre des civils. Au vue des normes classiques en vigueur en temps de guerre, la campagne du Liban a montré un doublement des pertes d’ordre psychologique par rapport aux pertes physiques dans les Forces de défense d’Israël (FDI).
En exil à Tunis, l’OLP perdit graduellement son influence dans les Territoires occupés. Elle ne joua aucun rôle dans le lancement de la première intifada en 1987. L’OLP avait été affaiblie par la croissance de courants islamistes radicaux et la réduction considérable du financement de ses parrains, les Etats arabes. Sa position fut davantage sapée par l’implosion du bloc soviétique, qui avait fourni un soutien politique important. Dès la fin des années 1980, Arafat était prêt de faire un grand compromis. Les accords d’Oslo d’août 1993 en sont le résultat.
L’essentiel de l’accord était une promesse qu’en échange de renoncer à toute revendication territoriale sur les 78 pour cent de la Palestine situé à l’intérieur des frontières israéliennes de 1967, l’OLP serait chargée de maintenir l’ordre dans un bric-à-brac de ghettos palestiniens en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. La pilule empoisonnée fut édulcorée avec des discours vagues sur l’apparition finale d’un mini-Etat palestinien dans certaines parties des Territoires occupées, mais dans les faits l’OLP venait de s’engager comme auxiliaire des autorités d’occupation sioniste. En septembre 1993 nous disions : « la soi-disant “feuille de route” signée il y a quelques semaines est une parodie de justice et représente une nouvelle trahison des droits nationaux palestiniens » (1917, édition anglaise, n° 13). L’étape la plus récente dans la croisade sioniste pour le lebensraum est la construction d’une muraille en béton fortifiée pour renfermer les Palestiniens de la Cisjordanie dans une série de minuscules camps de concentration isolés.
Dans son livre récent, Détruire la Palestine, ou comment terminer la guerre de 1948, Tanya Reinhart cite la description de Sharon selon laquelle la campagne actuelle contre les Palestiniens représente « la deuxième moitié de 1948 », à savoir un effort pour supprimer du territoire historique de la Palestine ce qui reste de sa population arabe indigène. Le « processus de paix » est dans sa totalité une escroquerie prodigieuse dans laquelle on offrit aux Palestiniens « territoires contre paix » pour leur donner des promesses creuses. Malgré le fait que les accords d’Oslo devaient geler les implantations de colons sionistes, le nombre de colons a doublé depuis la signature des accords en septembre 1993.
L’armée sioniste meurtrière a jusqu’ici tué des centaines de civils palestiniens et en a blessé des milliers. La destruction apportée aux Palestiniens par la machine de guerre israélienne est généralement présentée par les médias capitalistes en Amérique du Nord comme nécessaire, quoique regrettable, pour répondre à un terrorisme palestinien. Ce mensonge est démasqué par le fait que les autorités d’occupation israéliennes détruisent systématiquement les mécanismes d’une administration civile, dont les dossiers de santé et d’éducation, et rasent au bulldozer des maisons, des hôpitaux et même des systèmes d’eau et d’épuration des eaux. La stratégie du gouvernement Sharon est simple : rendre la vie si insupportable que grand nombre de Palestiniens, particulièrement les jeunes, seront forcés à fuir les Territoires occupés. La « solution » de l’Etat israélien au « problème » palestinien a pour nom « nettoyage ethnique ».
La corruption patente d’Arafat et du sommet de l’Autorité palestinienne (AP) alimente la croissance de formations théocratiques, misogynes, homophobes et antisémites, telles que le Hamas et le Jihad islamique parmi les Palestiniens, qui autrefois avaient été parmi les peuples les plus laïques, les mieux éduqués et les plus cosmopolites dans le monde arabe. Arafat est un prisonnier dans les décombres de son quartier général à Ramallah. Sharon a récemment fait savoir son intention de l’assassiner, mais Washington doute du bénéfice d’une telle intervention, d’autant plus que la situation au Moyen-Orient se dégrade. Ce projet est donc en attente, du moins pour le moment.
La politique d’Etat israélienne sur la Cisjordanie consiste à rendre impossible toute vie normale. En 1983 les autorités militaires décrétèrent qu’il ne serait plus permis aux Palestiniens de planter des arbres, voire des légumes, sans autorisation écrite. Qui serait surpris en train de planter aubergines ou tomates risque de passer un an en prison. Chomsky résume les conditions de vie en Cisjordanie comme suit :
« Tandis qu’une poignée de colons israéliens dirigent des hôtels de luxe avec piscines pour leurs clients, et tirent profit d’activités agricoles à forte consommation en eau, les Palestiniens manquent d’eau à boire—voire, de plus en plus, de nourriture à manger, vu l’effondrement de l’économie, exception faite des Palestiniens riches, qui vont bien, selon le modèle tiers-monde standard. »
—Le triangle fatidique [notre traduction]
Dans la minuscule bande de Gaza l’état de choses est encore pire. Le tiers du territoire est occupé par seulement 6 000 colons juifs (et la garnison FDI qui les protège) alors qu’un million de Palestiniens sont internés dans les autres deux tiers.
Un point positif dans cette triste situation reste l’intervention de jeunes gens de l’International Solidarity Movement (ISM, Mouvement de solidarité internationale), qui risquent leur vie pour essayer de défendre des Palestiniens. Rachel Corrie, une étudiante américaine de l’Etat de Washington, a été tué un plus tôt dans l’année [2003] lorsqu’un conducteur de bulldozer israélien décidé à détruire une maison palestinienne l’a aplati délibérément. Un autre membre de l’ISM, Tom Hurndall, jeune Britannique de Manchester qui a reçu une balle dans la tête par un sniper FDI, est maintenu en mort cérébrale. Nous saluons la bravoure de ces jeunes et leur détermination à démasquer la brutalité des nettoyeurs ethniques sionistes. Mais aller s’allonger par terre devant un char ne peut pas changer de manière significative l’équilibre des forces au Moyen-Orient.
Nous prenons militairement le côté des opprimés contre l’armée israélienne et les colons sionistes racistes, tout en reconnaissant que les Palestiniens ne sauraient vaincre dans une confrontation militaire les Forces de défense d’Israël. Ce fait a entrainé le Hamas à chercher des cibles plus vulnérables : écoles, centres commerciaux et discothèques. On comprend facilement ce qui pousse des jeunes kamikazes palestiniens à de tels actes. Leurs vies sont détruites ; leurs maisons rasées par des bulldozers ; leur avenir volé ; leurs parents, frères et sœurs rossés, torturés ou assassinés, ils cherchent la vengeance et une issue rapide à cet enfer sur terre qu’ont créé les sionistes. Mais les marxistes ne peuvent pas tolérer les attaques aveugles contre des civils israéliens—à la différence de celles contre les colons fascisants et membres des FDI.
Les attaques contre les troupes sionistes (ou leurs auxiliaires coloniaux) sont des coups portés contre l’occupation. Mais faire exploser un autobus rempli de civils est non seulement un acte criminel aux yeux du mouvement ouvrier, il est aussi stupide, car il ne fait que souder davantage les travailleurs israéliens à leurs dirigeants. Nous avons vu cette logique en marche aux Etats-Unis avec la marée de xénophobie irrationnelle qui a suivi « le 11 septembre ». Si les Israéliens croient leur survie physique en danger, ils seront beaucoup plus favorables à une répression brutale à l’encontre des Palestiniens. La seule voie possible à la libération nationale des Palestiniens passe par la destruction de l’Etat sioniste, mais ceci est impossible à travers une stratégie nationaliste.
Il est facile de proclamer d’une façon démagogique que la nation israélo-juive n’a pas droit à l’existence, mais ceux qui tenteraient de mettre en pratique un tel programme buteraient de suite contre certains faits bien concrets. Les dirigeants sionistes sont armés jusqu’aux dents, et ce, en grande partie, grâce aux subventions US. Les inquiétudes sur les « armes de destruction massive » ne s’appliquent pas aux sionistes, qui possèdent plusieurs centaines de têtes nucléaires qui leur donnent à tout moment la capacité d’effacer de la carte toute ville arabe. La perspective de « jeter les Juifs à la mer », en plus d’être réactionnaire, est chimérique. Il faudra détruire la forteresse sioniste de l’intérieur. Et ceci signifie gagner au moins une section de la classe ouvrière juive à une perspective de lutte de classe commune avec les Palestiniens et autres travailleurs arabes de la région. Projet difficile, mais pas impossible, comme l’indique le fait que l’année passée des centaines de réservistes FDI ont refusé de servir dans les Territoires occupés. La semaine dernière ils ont été rejoints par 27 aviateurs réservistes.
Il y a eu au cours de l’année passée nombre de faits prouvant que les intérêts objectifs de la classe ouvrière israélienne sont antagonistes à ceux de leurs maîtres. Dans une tentative de réduire les frais généraux et revigorer l’économie anémique d’Israël, durement frappée par l’effondrement simultané de la bulle technologique et le tourisme, le gouvernement Sharon attaque les emplois, allocations sociales et salaires des travailleurs juifs. En mars 2003, un demi-million de travailleurs du secteur public israélien se sont mobilisés pour stopper, du moins temporairement, un cocktail particulièrement agressif de mesures d’austérité qu’essayait de faire passer le ministre des finances (et ex-premier ministre) Benyamin Netanyahou. Cette confrontation a démontré de manière flagrante que le chauvinisme sioniste et l’expansionnisme territorial n’ont pas annihilé les profondes contradictions sociales entre les patrons d’Israël et la classe ouvrière juive.
Une autre ligne de faille dans la société israélienne est celle entre Juifs d’origine européenne et ceux des pays arabes. Les Juifs sépharades à peau plus foncée, qui constituent la base populaire du parti de droite dirigeant, le Likoud, sont pour l’essentiel moins instruits, et subissent une ségrégation sur les emplois les moins payés, là où ils sont directement menacés par la main-d’œuvre palestinienne meilleure marché. Ils ont de véritables griefs à faire valoir, mais leur colère est le plus souvent canalisée vers une haine des Arabes, tout comme les blancs pauvres aux Etats-Unis ont fréquemment servi de base de masse pour le Ku Klux Klan.
Le Shass, le Parti religieux national et d’autres formations intégristes juives, qui ont souvent joué le rôle d’arbitre dans le parlement israélien, sont pratiquement aussi misogynes que leurs homologues islamistes. Ils rejettent catégoriquement l’égalité des homosexuels et s’opposent à la coéducation et au droit de la femme à l’avortement. Ils considèrent qu’une femme juive se doive de produire autant de bébés que possible pour peupler « Eretz Israel », qui, d’après leurs cartes bibliques, comprendrait tout du Nil jusqu’à l’Euphrate—à savoir une grande tranche de l’Irak, l’Arabie saoudite et l’Egypte, et la totalité du Koweït, la Jordanie et la Syrie.
Les colons dans les Territoires occupés, pour la plupart des fanatiques religieux, reçoivent en moyenne une subvention de 10 000 dollars par an. Ceci fait l’objet d’un ressentiment considérable chez les contribuables israéliens ordinaires qui ne sont pas intégristes. Le quart strictement laïque de la population israélo-juive supporte mal les tentatives de la minorité intégriste d’imposer leurs croyances religieuses.
La racine du problème est que les Arabes palestiniens et les Juifs israéliens revendiquent tous deux le même petit territoire—et sous le capitalisme, un des peuples ne peut exercer une véritable autodétermination qu’au détriment de l’autre. Certains sionistes libéraux et réformistes proposent que si seulement Israël se retirait de Gaza et de la Cisjordanie (que ni l’aile travailliste, ni l’aile Likoud de la classe dirigeante sioniste ne soutient) les Palestiniens pourraient avoir une « autodétermination » dans leur propre mini-Etat bifurqué. Il y a 6 millions de Palestiniens, et 4,5 millions de Juifs israéliens. Donner à la minorité juive les quatre cinquièmes du territoire pour entasser la minorité arabe dans deux Bantoustans appauvris qui constituent l’autre cinquième du territoire ne règlerait rien à long terme. Les Israéliens n’ont pas de « droit » à détenir toutes les terres volées des Palestiniens, mais les marxistes reconnaissent l’existence d’une nation israélo-juive avec un droit inné à l’existence nationale.
Beaucoup à gauche, dont les sociaux-démocrates gauchisants de Socialisme international (SI), estiment que puisqu’une révolution ouvrière multiethnique est si éloignée, il faudrait adopter une approche plus pratique et chercher une solution équitable sous le capitalisme. Le numéro du 14 août 2002 de Socialist Worker (Canada) l’énonce ainsi :
« Le but pour un plan de paix doit être un seul Etat démocratique et laïque dans lequel toute religion et culture s’exprime librement, et où la politique est basée sur des élections justes et ouvertes. »
Un « Etat démocratique et laïque (et capitaliste) » où tout va comme il se doit. A quoi bon le socialisme ? Les sociaux-démocrates, qu’ils soient du Nouveau Parti démocratique (parti ouvrier bourgeois de masse au Canada) ou de SI, s’imaginent qu’on peut surmonter l’irrationalité de l’ordre mondial capitaliste en exerçant suffisamment de pression pour obliger les féroces impérialistes à jouer franc jeu et devenir ainsi amis. A quelle fin la rivalité interimpérialiste ? A quelle fin la lutte de classe ? Tout ne serait-il pas plus facile si le lion et l’agneau pouvaient s’allonger côte à côte ? Or, le capitalisme, c’est la foire d’empoigne. L’histoire des cinq derniers siècles est celle d’une lutte constante pour la division du monde entre bandits capitalistes. Marx et Engels en exposèrent l’essentiel dans le Manifeste communiste de 1848.
La condition préalable au partage équitable entre Palestiniens et Israéliens du territoire qu’ils revendiquent, tout comme celle du droit à l’autodétermination kurde, la libération des femmes, un système de santé universel et autres, c’est le déracinement du contrôle impérialiste dans la région et la création d’une Fédération socialiste du Moyen-Orient. Contrairement aux différentes bourgeoisies concurrentes, l’intérêt objectif du prolétariat de tous les pays est de promouvoir l’égalitarisme et résoudre les antagonismes nationaux. Or, la classe ouvrière ne peut arriver au pouvoir que si elle est menée par un parti léniniste-trotskyste basé sur le programme de la révolution permanente et voué à une lutte implacable contre les réactionnaires islamistes, monarchistes et bonapartistes du monde arabe, ainsi que les dirigeants sionistes racistes d’Israël.
Il ne sera pas facile de bâtir une telle organisation, mais cela reste possible. Il n’existe pas d’autres issues. Seul un parti dont la banderole inscrit « Pas Juif contre Arabe, mais classe contre classe ! » saura résoudre les problèmes complexes du Moyen-Orient d’une manière historiquement progressive.
— traduit d'un article qui a paru dans 1917, édition anglaise, n° 26, 2004