2 janvier 2025
Le 17 décembre, plus de 55 000 postiers syndiqués au sein du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP) ont été forcés de retourner au travail par le gouvernement libéral après plus d’un mois sur les lignes de piquetage. Cette intervention directe de l’État capitaliste est une attaque flagrante contre le droit de grève et crée un dangereux précédent auquel l’ensemble du mouvement ouvrier doit s’opposer. Aujourd’hui destinées aux postiers, les mêmes mesures autoritaires seront utilisées demain contre d’autres couches de la main-d’œuvre du secteur public, telles que les enseignants, les professionnels de la santé, les travailleurs des transports en commun et les fonctionnaires.
Les postiers de tout le pays ont entamé leur grève le 15 novembre après avoir donné au syndicat un mandat de grève de 95 pour cent en octobre. Ils ont déclenché une grève qui a duré un mois pour s’opposer aux tentatives de leur employeur, Postes Canada, de précariser les emplois et les conditions de travail, notamment en normalisant les emplois à temps partiel et temporaires, en éviscérant les régimes de travail réguliers, en mettant fin à la « propriété des itinéraires » et en réduisant la main-d’œuvre grâce à l’IA et à l’automatisation.
La grève a finalement été interrompue après que les libéraux eurent renvoyé le conflit de travail au Conseil canadien des relations industrielles (CCRI), un tribunal non élu chargé d’interpréter et d’administrer le Code canadien du travail. Le 13 décembre, le ministre du Travail, Steven MacKinnon, a demandé au CCRI de déclarer la grève illégale s’il estimait que les négociations entre Postes Canada et le STTP étaient dans une « impasse ». Sans surprise, le CCRI a exécuté les souhaits des entreprises canadiennes et, le 17 décembre, a ordonné aux travailleurs et travailleuses des postes de retourner au travail en vertu de la convention collective existante, tout en les privant du droit de grève jusqu’en mai 2025.
MacKinnon a également annoncé la création d’une « commission d’enquête industrielle » qui serait présidée par « un arbitre chevronné externe, indépendant et expérimenté » chargé d’« examiner l’ensemble de la structure de Postes Canada, tant du point de vue du client que du point de vue du modèle d’affaires » (CBC, 13 décembre 2024). La commission n’est rien d’autre qu’une tentative à peine voilée de donner un vernis « indépendant » à ce qui est clairement un pas vers la privatisation de la société d’État. Alors que Postes Canada revendique des pertes de 748 millions de dollars en 2023 seulement et de 3 milliards de dollars depuis 2018, et que les libéraux sont impatients de réduire les dépenses fédérales, la commission présentera sans aucun doute des recommandations de restructuration favorisant le « modèle d’affaires » (c’est-à-dire la privatisation). Alors que les libéraux sont sur le point de perdre les prochaines élections fédérales, il s’agit d’un cadeau d’adieu pour les conservateurs de Pierre Poilievre.
La criminalisation de l’action syndicale du STTP fait partie d’une tendance croissante dans laquelle les employeurs prolongent les négociations (parfois pendant des années), puis menacent de mettre à pied les travailleurs et pour conclure comptent sur l’État capitaliste pour intervenir et « résoudre » le conflit. Les libéraux ont forcé les postiers à retourner au travail la dernière fois qu’ils ont fait grève en 2018, et sont également intervenus pour briser les grèves des dockers et des cheminots.
Postes Canada et les libéraux n’ont pu briser la grève des postes que grâce à la lâcheté et à la complicité de la bureaucratie syndicale au sommet du STTP et du Congrès du travail du Canada (CTC), qui a isolé la lutte des autres travailleurs et n’a rien fait pour préparer les membres à se battre pour gagner. Intrinsèquement opposés à la lutte des classes, les bureaucrates du STTP ont d’abord cherché à mener une série de grèves tournantes inefficaces destinées à limiter l’impact de l’action, et n’ont été forcés de mobiliser tous les membres que lorsque Postes Canada les a mis en lock-out. Quelques semaines à peine avant d’être ordonné de retourner au travail, le STTP a lâchement abaissé sa revendication d’une augmentation salariale cumulative de 24 pour cent à 19 pour cent, bien que, flairant la faiblesse, Postes Canada ait toujours refusé de bouger.
Après que le CCRI a ordonné aux employés des postes de retourner au travail sans nouveau contrat, la direction du STTP n’a pas tenté de sonder les membres, de discuter et de débattre des options et de tenir un vote sur les prochaines étapes, et encore moins de préconiser de défier l’ordre de retourner au travail. Il y a une profonde frustration au sein de la base à l’idée d’être forcé de retourner au travail et une humeur combative parmi les habitants pour continuer la lutte. Un journal de l’Alberta rapporte :
« Cole Morgan, délégué syndical en chef de la section locale 770 du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, a déclaré lundi lorsqu’on lui a demandé si les employés locaux de Postes Canada seraient de retour au travail aujourd’hui : “ C’est une possibilité, mais cela reste à voir. Nous attendons en quelque sorte de voir ce que les dirigeants ont à dire, mais beaucoup de membres sont prêts à défier s’ils en ont besoin.” »
—Lethbridge Herald, 16 décembre 2024
Dans un communiqué intitulé de manière perverse « La lutte se poursuit… », la présidente nationale du STTP, Jan Simpson, a entonné : « Nous demandons aux membres de reprendre leur quart de travail prévu à l’horaire dès 8 h, heure locale, le mardi 17 décembre 2024. D’autres directives leur seront communiquées par la suite » (Bulletin no 69, 16 décembre 2024). Ces « directives » n’étaient rien d’autre que la reprise des services postaux comme d’habitude pendant que les dirigeants du STTP poursuivaient un processus d’appel futile auprès du CCRI sur le « caractère inconstitutionnel » et l’application de leur propre décision.
Le NPD, qui avait soutenu le gouvernement Trudeau pendant les deux années et demie précédentes, rendant ainsi possible l’attaque contre le STTP, n’a décidé de le débrancher que lorsque les libéraux ont commencé à imploser avec la démission de la vice-première ministre Chrystia Freeland à la suite de la menace du président élu américain Donald Trump d’imposer des droits de douane de 25 % sur les importations canadiennes. Jagmeet Singh et le reste de la direction pro-capitaliste du NPD sont les homologues parlementaires de la bureaucratie syndicale perfide.
Pour lutter et gagner efficacement, les travailleurs doivent adopter une perspective de lutte de classe pour briser les limites légalistes fixées par les employeurs et le gouvernement. Les membres du STTP doivent se pencher sur les origines de leur propre syndicat. Jusqu’en 1965, les travailleurs des postes, alors regroupés au sein de l’Association canadienne des employés des postes, étaient considérés comme des fonctionnaires plutôt passifs et dociles. Ils étaient considérés comme un « service essentiel » et des lois étaient en place qui leur interdisaient de faire grève.
Tout a changé lorsqu’ils ont organisé une grève nationale illégale de deux semaines en juillet 1965, brisant la législation anti-ouvrière et obtenant le droit de grève. Les piquets de grève étaient contrôlés par des comités de grève de la base, et les grévistes, qui étaient menacés de licenciements massifs, ont réussi à défier les injonctions de l’employeur et des tribunaux pour retourner au travail. L’action syndicale a donné naissance au Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, qui est devenu l’un des syndicats les plus militants au cours des décennies suivantes et a transformé le mouvement syndical canadien. Joe Davidson, plus tard président du STTP, a décrit la grève de 1965 comme une « rébellion des postes qui a changé le visage des relations de travail fédérales et a choqué non seulement le gouvernement, mais aussi la plupart des dirigeants élus des associations d’employés des postes ».
À l’instar d’autres syndicats pancanadiens, le STTP dans son ensemble a fait preuve d’un niveau plus élevé de militantisme ouvrier, en partie à cause de l’influence de ses sections locales du Québec. Le successeur de Davidson à la tête du STTP est Jean-Claude Parrot, un ancien employé des postes de Montréal qui a été emprisonné pendant deux mois en 1979 pour avoir défié la loi de retour au travail du gouvernement. Si les dirigeants syndicaux du Québec ont eu tendance à montrer moins de respect pour l’autorité capitaliste, c’est parce que les travailleurs de la base ont démontré une capacité de lutte de classe qui a semé la peur au cœur de la classe dirigeante. Il y a un an, un demi-million de travailleurs du secteur public au Québec se sont mis en grève pour obtenir de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail.
Une victoire rapide et décisive dans la dernière action postale aurait pu avoir le potentiel de repousser l’attaque libérale et de revigorer le mouvement syndical à travers le pays. Une grève concertée de tous les travailleurs du secteur public fédéral des syndicats affiliés au CTC, en solidarité avec le STTP et au mépris de tout ordre de retour au travail, aurait porté un coup puissant aux attaques du gouvernement contre les travailleurs des postes et le droit de grève. Si cela s’était développé, cela aurait immédiatement posé la possibilité d’étendre l’action syndicale aux services de livraison rivaux (par exemple, Amazon, FedEx, DHL), menant ainsi une contre-offensive dirigée par les travailleurs pour obtenir des emplois syndiqués bien rémunérés dans le secteur privé. Une telle situation aurait pu rapidement s’aggraver pour englober des couches plus larges de la classe ouvrière canadienne, organisées et non organisées, portant le coup de grâce aux libéraux boiteux de Trudeau et renversant le gouvernement d’une manière tactiquement favorable à la classe ouvrière.
Cette occasion a maintenant été gâchée, bien que d’autres difficultés se profilent à l’horizon. Radio-Canada rapporte que le ministre du Travail du Québec vient d’annoncer que son gouvernement envisage de modifier le Code du travail québécois afin de lui accorder le pouvoir dont son homologue fédéral a utilisé « pour suspendre les arrêts de travail dans le secteur ferroviaire, dans trois grands ports canadiens et à Postes Canada » — une menace évidente pour les puissants syndicats québécois. Pour faire grève et gagner les batailles futures, le mouvement syndical devra se réapproprier la tradition militante qui a donné naissance au STTP. Cela signifie être prêt à défier les ordres de retour au travail et les autres obstacles légalistes mis sur le chemin de la victoire.
Une approche de lutte des classes ne peut être mise en œuvre qu’en luttant pour remplacer les lâches réformistes qui dirigent actuellement le STTP et les syndicats du Canada. Les travailleurs ont besoin de toute urgence d’une action défensive plus large et unie, non seulement pour gagner les revendications d’une section particulière de la classe ouvrière, mais aussi pour vaincre l’ensemble du programme d’austérité de la classe dirigeante. Une telle perspective nécessite une nouvelle direction de la classe ouvrière et un nouveau parti politique ouvrier qui, contrairement au NPD, rejette le caractère sacré de la propriété capitaliste et du parlementarisme bourgeois.
À bas les briseurs de grève !
Déchaînez les syndicats — chassez les bureaucrates !
Pour un parti ouvrier révolutionnaire !