Maastricht: quelle perspective pour le mouvement ouvrier?

Ce texte est une traduction abrégée d’un article paru en 1917, no 13, édition de langue anglaise


Depuis l’aube de l’âge de l’impérialisme à la fin du siècle dernier, le capitalisme sur une échelle mondiale a été confronté par une contradiction qu’il ne peut pas résoudre. Il a créé des liens d’interdépendance économique et une division globale de la main-d’oeuvre qui débordé les frontières nationales. Cependant cette économie mondiale hautement intégrée—inter-reliée de plus près que jamais auparavant—est divisée politiquement dans divers État nations rivalisants et blocs impérialistes instables, dont les antagonismes mutuels sapent et menacent à déchirer les liens économiques internationaux que le capitalisme a portés en existence.

Le développement capitaliste contient une contradiction profonde entre les impératifs de l’intégration internationale et la nécessité pour chaque bourgeoisie nationale de trouver des « solutions nationales » aux actions de ses rivaux, i.e., « la baisse », les restrictions du marché et le protectionnisme. Cette contradiction a eu pour résultat déjà deux guerres mondiales. A cause du besoin de maintenir l’unité contre le bloc soviétique à l’époque d’après-guerre, elle a été supprimée en partie pendant les quarante-cinq dernières années. Mais elle n’était jamais loin de la surface. Maintenant que l’Union soviétique n’est plus, et que la suprématie économique indiscutable d’autrefois des États-Unis a depuis longtemps disparu, les rivalités parmi les puissances capitalistes majeures dominent de nouveau la scène mondiale. Nul part est ce plus évident que dans les travaux récents de la soi-disant Communauté Européenne (CE—qui a changé son nom en novembre 1993 à l’Union Européenne).

Le capitalisme ouest-européen a émergé de la deuxième guerre mondiale dans une condition très précaire. L’industrie et l’agriculture avaient presque écroulé, et dans presque chaque pays les souverains ont été discrédités par leur collaboration avec le fascisme. Craignant une classe ouvrière renaissante et enragée, les souverains capitalistes l’ont trouvé commode d’entreprendre de supprimer des antagonismes nationaux afin de consolider leur règne. L’impérialisme américain a encouragé des mouvements vers la coopération européenne, et a approuvé de façon bénigne le projet de la CE parce qu’il a aidé à consolider un rempart capitaliste ouest-européen contre l’Union soviétique.

Lorsque l’hégémonie américaine a diminué, la campagne pour une plus grande unité européenne a gagné la force d’impulsion. Ceci était nourri par le désir de réaliser l’efficacité de fonctionnement agrandi dans un plus grand champ économique, et a reflété la capacité renouvelée des classes dominantes européennes à poursuivre leurs propres ambitions impérialistes. Les capitalistes plus prévoyants avaient reconnu que l’expansion internationale considérable de la production, du commerce et de la finance européenne exigeait l’intégration économique européenne étendue afin de participer efficacement dans la compétition globale pour les marchés et les sphères d’influence. Toutefois chacune des bourgeoisies impérialistes envisageait l’unification simultanément comme un moyen d’avancer leurs propres intérêts (souvent mutuellement contradictoires) nationaux particuliers.

Donc ce qui a commencé en 1952 comme un accord entre la France, l’Allemagne, l’Italie et les pays Benelux pour éliminer toutes barrières à l’exportation et l’importation de charbon et d’acier, est devenu, avec l’acceptation du Traité de Rome en 1957, un dessein pour intégration économique et, finalement, politique de l’Europe entière. En 1968 les neuf pays appartenant à ce qu’on a nommé alors le Marché Commun avaient accompli une union complète des douanes, un tarif externe en commun et le mouvement plus libre de la main-d’oeuvre et de capital au sein de l’union. La Grande Bretagne a adhéré à la CEE en 1973, et le nombre de pays membre est allongé par la suite au douze actuel.

La voie à l’unité européenne n’a pas été paisible. La Grande Bretagne, qui s’attache à ses mémoires d’une gloire impériale disparue, et souvent considérant son "rapport spécial" avec les États-Unis au-dessus d’une coopération plus proche avec ses ennemis traditionnels du continent européen, a tenu l’Europe à la longueur de bras pendant beaucoup d’années, et même aujourd’hui elle demeure une partenaire peu disposée. La campagne pour l’unité est presque venue à une halte pendant les récessions mondiales du milieu des années 70 et au début des années 1980, lorsque les États membre de la CEE sont devenus préoccupés avec la gestion de leurs propres crises internes, souvent au dépens d’un autre.

Cependant, le processus d’intégration a ressuscité au cours des années 1980. L’acte de marché unique de 1986 et le Traité de Maastricht de 1992 étaient dirigés à ce que les auteurs du Traité de Rome ont envisagé comme le pas suivant à la création d’une union douanière: l’intégration économique européenne entière. Avec ces deux accords, les États membre ont suspendu des éléments importants de leur souveraineté nationale. L’acte de marché unique a eu pour résultat un rôle accru pour la Commission européenne qui siégeait à Bruxelles : alors que tout État membre pouvait précédemment interdire ses décisions, la Commission a été donnée maintenant les pouvoirs larges de légiférer par règle majoritaire dans plusieurs domaines économiques. Tous les contrôles des frontières ont été proposés pour l’élimination en 1993. Le Traité de Maastricht a présenté le projet pour la création d’une seule monnaie européenne (l’Union Monétaire Européenne, ou UME) par la fin du siècle. Avec ces deux traités en place, Europe semblait sur la voie à la troisième et dernière étape projetée par les architectes du Traité de Rome: la fusion des pays membre dans un super-État fédéré, avec une seule politique étrangère, Parlement et armée.

Les divergences sur l’intégration politique et économique continueront à faire les manchettes de la politique européenne pour le futur immédiat. Le Traité de Maastricht a été mis à un vote populaire dans trois pays en 1992. Au Danemark, le traité a initialement failli par une marge étroite (quoique ce verdict ait été renversé dans un référendum subséquent), dans la République d’Irlande il a été endossé par 70 pour cent, et en France, Maastricht a gagné l’approbation par la marge la plus étroite en septembre 1992. Ces référendums ont présenté la gauche et le mouvement ouvrier avec une question pratique immédiate: comment voter sur Maastricht, ou si on doit voter du tout.

Les deux sont poisons: Nationalisme venimeux ou intégration inter-impérilaiste

La controverse sur Maastricht est exclusivement un différend sur comment organiser le capitalisme européen. Le devoir des marxistes révolutionnaires est de représenter les intérêts historiques, de long terme, de la classe ouvrière, qui n’a aucun intérêt dans l’un ou l’autre modèle du capitalisme. Cependant la plupart de la gauche ont failli adopter une position de « la peste sur les deux maisons ». Même les groupes révolutionnaires auto-proclamés et soi-disant trotskystes se sont joint aux courants réformistes de gauche en plaidant en faveur d’un « non », affirmant qu’une victoire pour le « non » représentera en quelque sorte une victoire pour la classe ouvrière.

Cette position semble être dérivée dans une certaine mesure du climat politique réactionnaire actuel. Il y a cinquante ans peu de partis ouvriers nieraient publiquement que l’objectif ultime était l’élimination de la propriété privée des moyens de production et son remplacement par le socialisme. Le débat au sein du mouvement ouvrier a centré sur comment atteindre cet objectif: par la réforme ou par la révolution, à travers le front populaire ou par la voie de l’indépendance politique de la classe ouvrière, par le « socialisme dans un seul pays » ou par l’extension internationale de la révolution socialiste.

Aujourd’hui, le terrain de la discussion a changé entièrement. La social-démocratie pour l’essentiel avait officiellement abandonné l’objectif du socialisme il y a longtemps. Depuis la chute de l’URSS et les régimes de l’Europe d’est, les soldes des partis staliniens se sont refondus en sociaux-démocrates de gauche, et ont renoncé le socialisme en paroles aussi bien que dans les faits. Presque tous les partis ouvriers et les organisations ouvrières de masse proclament ouvertement aujourd’hui que la classe ouvrière ne peut viser autre objectif plus élevé que la conservation et (dans la mesure du possible) l’expansion des gains sociaux limités arrachés des capitalistes par les luttes passées. La permanence de la société capitaliste est prise pour acquise; la seule question pertinente concerne quel genre de capitalisme nous voulons. Le débat public contemporain, en bref, a lieu presque entièrement dans le cadre de l’idéologie bourgeoise. Il est par conséquent facile de voir comment les groupes ostensiblement trotskystes sentent instinctivement que rejeter ce cadre bourgeois implique l’abstention de la politique électorale de masse entièrement, et plutôt que de se laisser marginaliser, ils s’efforcent de découvrir un pôle de gauche ou de la classe ouvrière quelconque dans la controverse de Maastricht.

Un tel pôle n’a jamais émergé. Il est vrai que la majorité de la bourgeoisie et leurs représentants politiques étaient pro-Maastricht. Mais la principale opposition articulée n’est pas venue de ceux qui ont repoussé Maastricht parce qu’ils se sont opposés à un futur capitaliste, mais plutôt d’une minorité bourgeoise nationaliste de droite. Thatcher et Séguin étaient contre le traité parce qu’ils craignaient que leurs propres bourgeoisies puissent devoir sacrifier quelques-unes de leurs prérogatives traditionnelles à ce qu’ils perçoivent comme un Conseil de Ministres dominé par les Allemands à Bruxelles. Et derrière ces « conservateurs conventionnels » se trouvaient Enoch Powell et Jean-Marie Le Pen, qui doivent leurs carrières politiques entières à l’incitation de la haine chauvine contre les immigrés.

Dans le référendum français, la Parti communiste français (PCF) et une minorité de Parti socialiste (PS) étaient aussi dans le camp du « non », lançant l’avertissement aux travailleurs que Maastricht signifie plus de chômage et une plus grande austérité. Mais ceci est le même PCF qui a capitulé pendant des années aux sentiments anti-immigrés croissants dans les faubourgs ouvriers de Paris et d’autres villes, ayant perdu des votes au Front National de Le Pen, et cette même minorité de PS a été complice dans la politique d’austérité imposée à la classe ouvrière française pendant les dix dernières années. Il est aussi vrai que le vote de septembre a été divisé rudement selon une ligne de classe, avec les quartiers bourgeois votant fortement en faveur de Maastricht, et la majorité d’ouvriers et de petits cultivateurs votant contre. La répudiation de Maastricht par les travailleurs français reflète le mécontentement profond avec une économie pourrissante et les politiciens perçus comme responsable pour cet état de choses. Mais, au-delà de ceci, les implications politiques d’un vote « non » restent imprécises. La classe ouvrière et les petits fermiers ont eux aussi été réceptifs au chauvinisme croissant et à la xénophobie. Leur mécontentement n’est jamais dépassé le niveau d’une protestation vague et ambiguë contre les conditions actuelles. Le choix implicite—du début à la fin—était entre une plus grande unité européenne et le statut quo légal. Les révolutionnaires refusent de choisir entre ces pièges bourgeois, et font appel pour l’opposition aux deux « options » capitalistes visant à intensifier l’exploitation.

Le Secrétariat unifié vote ‘non’

Le Secrétariat unifié de la Quatrième Internationale d’Ernest Mandel a plaidé en faveur d’un « non » à Maastricht dans le référendum français. L’édition du 12 octobre 1992 de sa publication International Viewpoint a affirmé que :

« La question sous-entendue dans ce référendum était: ‘souhaitez-vous rationaliser les moyens de restructuration capitaliste et avancer la cohésion des politiques de l’austérité partout en Europe’ et la réponse socialiste évidente à ceci était bien sûr ‘non’ ».

Et, en effet, Maastricht représentait la méthode préférée de la bourgeoisie européenne pour mener l’offensif global actuel contre la classe ouvrière. Mais le problème avec l’approche du Secrétariat unifié est que cela implique qu’une classe capitaliste se tenant séparément de la CE sera d’une façon ou d’une autre immuniser aux impératifs de la concurrence internationale et de la rationalisation, et n’aura pas besoin d’avoir recours à l’austérité et les briseurs de grève. Celui-ci est un argument que nous avons entendu en 1988, lors de l’élection de « libre échange » au Canada :

« Si le libre échange ou le protectionnisme canadien triomphe, les capitalistes entreprenaient d’assurer que les travailleurs paieront le prix de la compétition internationale étendue. Si l’accord de Mulroney échoue, et les capitalistes canadiens restent ‘indépendant’ de tous les blocs commerciaux internationaux majeurs, la première chose qu’ils feront serait de réduire les coûts de la main-d’oeuvre (i.e., les standards de vie de la classe ouvrière) sur la base qu’ils sont enfermés dans un petit marché domestique.

« Ou bien, si le libre échange réussit, il devient une excuse pour couper les standards de vie et les services sociaux afin de rester compétitif avec les États-Unis.

« Dans l’un ou l’autre des cas les capitalistes vont vouloir obtenir des concessions salariales et des conditions du travail tout en réduisant davantage les services du gouvernement et les avantages sociaux. S’ils réussissent ou non dépendra sur la réponse des syndicats. Les gains limités gagnés par le passé—tels que l’assurance chômage, les pensions de vieillesse et l’assurance-maladie—ont été gagnés par la lutte de classe dure. Et c’est la lutte de classe—et non une renégociation de tarifs capitalistes—qui déterminera ce qui arrive aux standards de vie de la classe ouvrière dans le futur ». [notre traduction]

Si, par exemple, la Grande Bretagne cherchait à se retirer de la CE, devons-nous attendre que la pression capitaliste sur la classe ouvrière diminue? Les syndicats gagneront-ils un avantage quelconque? Il n’y a pas de raison de penser ainsi. Une campagne réussie pour quitter la CE serait suivie d’un bombardement publicitaire genre « il y aura toujours une Angleterre » comme chanson de thème. Les thatcheristes pousseront la population à « acheter britannique », à serrer leurs ceintures et à augmenter la productivité afin de conserver les traditions inestimables de leur île-nation libre.

International Viewpoint déplore le fait que les deux partis ouvriers, le PCF et le PS, aient mené une campagne « non » basée sur les appels chauvins et nationalistes :

« Un des points principaux autour duquel l’opposition s’est cristallisée était celui de la nation. En premier lieu ceci…s’est manifesté dans les dénonciations du processus d’unité européenne pour sa menace à l’identité française. Celle-ci était l’idée dominante du Front National aussi bien que du RPR de Pasqua; ce thème n’étant pas entièrement absent dans les discours de Chevènement et du Parti communiste ».
—Ibid. [notre traduction, accentuation ajoutée]

La LCR (section française du Secrétariat unifié) avait apparemment une difficulté considérable à différencier son « non » progressiste du « non » ordinaire et habituel des chauvins et des protectionnistes. Celui-ci n’est pas simplement le résultat d’incompétence tactique. L’opportunisme éprouvé du Secrétariat unifié dicte qu’il découvre un « côté progressif » à presque tout ce qui se produit, de la victoire de l’intégrisme islamique en Iran à la restauration capitaliste en Pologne ou en l’ancienne Union soviétique.

La politique de classe et la campagne ‘non’

Se joignant au Secrétariat unifié dans le camp de « non » à Maastricht est la Ligue communiste internationale (LCI), dirigée par la Spartacist League des États-Unis. La propagande des robertsonistes sur Maastricht a un ton quelque peu hésitant, qui reflète les difficultés de présenter un argument de gauche dur pour un vote « non ». Néanmoins, un article majeur sur Maastricht, publié après le référendum français (Workers Vanguard, le 2 octobre 1992), présente plusieurs arguments qui méritent une discussion.

D’abord, Workers Vanguard affirme que la majorité de la classe ouvrière française a voté « non » par instinct de classe solide:

« Maastricht est devenu le symbole des élites souveraines européennes arrogantes—les banquiers du ‘jet-set’ et les cadres professionnels, les hauts fonctionnaires du gouvernement avec leur garde du corps et leurs limos, vivant dans les hôtels chics lorsqu’ils font les ronds des conférences sans fin d’EC.

« Bien qu’il y ait certainement un sentiment nationaliste motivant le vote ‘non’, celui-ci a été combiné avec une reconnaissance instinctive que la Communauté Européenne est une agence de la bourse de Paris et des banquiers de Francfort.

« Le référendum de Maastricht a donné aux ouvriers de l’acier et aux débardeurs en chômage une petite occasion de défier les maîtres d’Europe

« La chose la plus frappante concernant le référendum était la division claire et irrésistible entre les ‘oui’ et les ‘non’, avec le vote de la classe ouvrière 60 pour cent contre ». [notre traduction]

Il est bien sûr une bonne chose lorsque la classe ouvrière agit instinctivement dans son propre intérêt. Nous n’avons aucun droit de supposer, toutefois, que l’intérêt de classe authentique informe chaque action instinctive de la classe ouvrière. Quel « instinct de classe » oblige les ouvriers américains à soutenir les démocrates ou les républicains ou quel instinct pousse les mineurs russes à suivre Eltsine?

Il y avait sans aucun doute un élément de ressentiment de classe dans le refus de Maastricht par l’ouvrier français. Ils étaient fâchés avec les bureaucrates de Bruxelles, les financiers et les cadres professionnels, aussi bien que tout ce « beau monde »—acteurs, cinéastes, artistes et écrivains—défilant devant les médias battant leurs tambours pour le vote « oui ». Cependant quel que soit le ressentiment de classe implicite qui aurait pu encadrer le vote « non » de l’ouvrier français, dans la configuration politique existante il ne pouvait qu’être subordonné au « non » nationaliste dominant.

Il est possible, particulièrement dans une période de luttes de la classe surchargée, qu’une question qui serait ordinairement vue comme une divergence intra-bourgeoise d’acquérir une signification de classe. Par exemple, en janvier 1919, le renvoi du chef social-democrate de gauche de la Police à Berlin, comme partie d’une tentative de restaurer l’hégémonie capitaliste, a initié une révolte avortée par les sections les plus militantes de la classe ouvrière allemande. Dans de telles circonstances il serait en effet ridicule et sectaire pour les marxistes de simplement dire aux ouvriers de ne pas prendre un côté.

A l’encontre d’un vote pour un candidat dans une élection, un vote « non » dans un référendum peut être un geste purement négatif. Mais un vote « non » dans le référendum de Maastricht avait une signification politique déterminée par le contexte plus large dans lequel il a eu lieu. De petits groupes de propagande ne peuvent pas changer ce contexte ou cette signification implicite. Les référendums de Maastricht étaient essentiellement des tentatives par des fractions majoritaires de la bourgeoisie d’enrôler l’appui populaire pour vaincre la résistance bourgeoise oppositionnelle à l’affaire. Il n’y avait pas de raison pour laquelle l’attitude de la classe ouvrière aurait dû être différente du tout dans un tel cas: les travailleurs ne doivent appuyer ni la politique de la majorité ni celle de la minorité d’exploiteurs.

Avec un raisonnement semblable à celui du Secrétariat unifié, Workers Vanguard affirme que Maastricht représentait une stratégie consciemment anti-ouvrière:

« ... la classe ouvrière consciente a reconnu que l’union monétaire proposée avait l’intention de geler les salaires et de couper les bénéfices sociaux

« Les hommes qui dirigent la Communauté Européenne ne sont pas des boucs émissaires; ils exploitent vraiment et dégradent vraiment les travailleurs français et du reste de l’Europe. Ils sont responsables pour le chômage des ouvriers de l’acier de Lorrain et des débardeurs de Marseille ». [notre traduction]

Ceci est tout vrai, mais il est également vrai que l’opposition bourgeoise au traité a été menée par des individus non moins hostiles aux travailleurs. Workers Vanguard admet autant lorsqu’il a noté que le social-démocrate de gauche Chevènement (suivi politiquement par la LCR pabliste) avait un « programme d’autarcie économique et de finance inflationniste qui ne réduira pas le chômage une miette... ».

L’argument de résonnement le plus militant développé par les robertsonistes était qu’une défaite pour Maastricht infligerait un coup aux souverains actuels et pourrait déclencher des luttes de la classe ouvrière. Le numéro de septembre 1992 de leur journal français, Le Bolchévik, proclame :

« nous appelons pour un vote de ‘non’... sachant qu’une victoire du ‘non’, en affaiblissant un petit peu ce régime anti-ouvrier, anti-immigré et antisoviétique, ouvrirait une brèche à l’avantage de la classe ouvrière ». [notre traduction de la citation de Workers Vanguard]

L’idée que les révolutionnaires doivent automatiquement voter « non », dans l’espoir d’« affaiblir » le gouvernement capitaliste existant et d’« ouvrir une brèche » est étrangère au marxisme. Les révolutionnaires n’ont pas d’intérêt dans la déstabilisation en soi. La question est, qui bénéficierait d’un tel développement? Dans une situation où la classe ouvrière est à l’offensive, et les capitalistes sont sur le défensif, « ouvrir une brèche » peut être un pas important vers un défi ouvert à la bourgeoisie pour le pouvoir d’État. Mais en France au moment actuel le bénéficiaire principal le plus probable d’une telle « brèche » est le Front National de Le Pen.

Entre impérialistes il n’y a pas de « moindre mal »

Le référendum de Maastricht a eu lieu contre l’arrière-plan plus large de la destruction de l’Union soviétique—une défaite historique majeure pour la classe ouvrière. La vaste majorité d’ouvriers, qui avait identifié le socialisme au stalinisme, a conclu de la chute du stalinisme que le socialisme même a fait faillite. Un corollaire à ceci—poussé constamment par les moulins de la propagande capitaliste—est que les ouvriers n’ont pas d’intérêts historiques ou d’objectifs indépendants de ceux de leurs classes dominantes. Il est d’une importance cruciale en cette période d’inoculer des éléments prolétariens les plus conscients de leurs intérêts de classe contre de telles suppositions paralysantes. Celui-ci était le danger principal affrontant la classe ouvrière dans le référendum de Maastricht—un danger qui le rend doublement impératif de prendre une position d’opposition révolutionnaire dure à toutes sections de la classe dominante.

A l’encontre du réformisme, nous n’entreprenons pas de fournir des propositions positives à nos classes dirigeantes sur comment le mieux faire avancer le « intérêt national ». Nous soutenons les intérêts des opprimés, et cherchons à organiser l’opposition à toute mesure capitaliste qui affecte de façon défavorable les opprimés et les exploités. Les révolutionnaires s’opposent à chaque tentative d’empoisonner la classe ouvrière avec le nationalisme et le protectionnisme parce que de tels sentiments entrecoupent la conscience de classe, qui ne peut être qu’internationaliste. Cependant nous ne plaidons pas en faveur du « libre échange », ni prenons-nous position sur comment les capitalistes doivent arranger leur balance de paiements, les termes d’échange ou les fluctuations monétaires. Nous revendiquons ni un dollar/livre/mark/yen fort ni faible, ni un retour au standard de l’or, ni les taux d’échange standards ou flottants. Ceux-ci demeurent des disputes entre bourgeois et nous devons suivre les conseils de Hilferding tel que cité par Lénine dans l’Impérialisme, Stade Suprême du Capitalisme :

« La réponse du prolétariat à la politique économique du capital financier, à impérialisme, ne doit être ni le libre échange ni le protectionnisme mais le socialisme ».

Workers Vanguard fait l’observation que :

« Dans le court terme, la chute du projet de Maastricht favoriserait politiquement l’Amérique, qui peut jouer plus facilement les bourgeoisies européennes l’une contre l’autre. Mais même si l’impérialisme allemand sort...plus capable d’imposer sa volonté économiquement (et militairement), celui-ci signifierait non pas une époque d’harmonie et de prospérité mais la guerre inter-impérialiste », [notre traduction]

Un point bien dit, mais un qui s’accorde à peine avec le plaidoyer en faveur d’un vote « non » (ou un « oui »). Si Maastricht s’écroule, les États-Unis gagnent; s’il continue sans recul, le capital allemand bénéficiera; donc lequel des deux résultats les travailleurs doivent-ils favoriser, celui qui bénéficie à l’impérialisme allemand ou celui qui bénéficie à l’impérialisme américain?

Le traité est une tentative à mieux équiper le capital européen pour rivaliser avec l’Amérique du Nord et le Japon. Les marxistes dénoncent la rivalité économique inter-impérialiste comme un précurseur aux hostilités militaires. Mais la défaite de Maastricht, ou même la disparition de la CE, ne terminerait pas de telles rivalités. Il changerait simplement le terrain pour les conflits les plus tranchants à un niveau intra-européen. Un ou l’autre pouvoir forgera tôt ou tard une alliance avec les États-Unis ou le Japon, obligeant ses concurrents régionaux de chercher la protection dans un autre bloc. Nous nous opposons à l’impérialisme, et nous nous opposons à chaque manifestation de son caractère socialement réactionnaire, mais celui-ci ne veut pas dire que nous souhaitons voir la classe ouvrière tirée dans les discussions au sujet de quelle alliance serait la plus avantageuse pour « ses » souverains. Dans un sens historique nous sommes en faveur de l’intégration globale économique mais reconnaissons qu’elle ne peut pas être accomplie dans un sens progressif sous l’impérialisme.

L’« Assemblée constituante européenne » de la LICR

La Ligue pour une Internationale communiste révolutionnaire (LICR—dirigée par le groupe britannique Workers Power) a publié une déclaration sur Maastricht dans leur Trotskyist Bulletin (no 2, novembre 1992) qui a projeté qu’ « à l’intérieur d’une décennie » le mouvement représenté par Maastricht « peut signaler la création d’un super-État fédéral impérialiste européen ». A la lumière de ce qui est arrivé depuis que ces mots ont été écrits, les auteurs souhaitent probablement qu’ils aient été un peu plus prudents. Mais à l’encontre du Secrétariat unifié ou les robertsonistes, le LICR a au moins réussi à cerner la ligne de fond correctement avec son appel de voter contre les deux camps bourgeois.

La position de la LICR sur Maastricht est toutefois gâtée par la présentation de la revendication suivante:

« Pour l’élection d’une Assemblée Constituante européenne souveraine pour tous ces pays dans la CE ou qui cherchent à lui joindre, convoquée et protégée par les organisations de combat de la classe ouvrière ».

La demande pour une « Assemblée constituante Européenne souveraine » peut convenir aux socialistes « little-England » comme Tony Benn, qui peuvent utiliser la demande comme couvert internationaliste. Mais pourquoi les révolutionnaires supposés promouvraient-ils un tel slogan? Les marxistes font appel pour une assemblée constituante afin de concentrer la résistance populaire aux dictatures bonapartistes, et pour mobiliser les masses dans une tentative à tourner la lutte pour la démocratie bourgeoise dans une direction révolutionnaire. Mais il n’y a pas de connexion entre la convocation d’une Assemblée constituante européenne et la création d’un gouvernement ouvrier européen.

Seulement les opportunistes peuvent prétendre que le sentiment actuel pour une seule Europe est une coquille vide qui peut être remplie avec n’importe lequel contenu social ou de classe qu’on veut. Peu importe la manière tactique de son introduction, l’appel pour une assemblée constituante en Europe se réduit à un appel pour la création d’une institution « convoquée et protégée par les organisations de combat de la classe ouvrière » pour promouvoir les États-Unis capitalistes d’Europe. Le projet d’une Europe capitaliste unie appartient exclusivement à la bourgeoisie, tout comme la défense des prérogatives d’Etat-nations impérialistes. Les divers alignements internationaux des pouvoirs impérialistes sont réactionnaires au fond, et aucun bavardage centriste peut extraire un contenu « révolutionnaire» d’une tactique basée sur les illusions dans l’harmonisation paisible de la concurrence inter-impérialiste. La revendication de la LICR n’est par conséquent non simplement utopique, elle est utopique réactionnaire, dans la mesure où elle promouvra l’illusion réactionnaire que cette intégration européenne selon les termes capitalistes peut avoir un contenu progressiste.

Luttons pour le socialisme!

Les questions posées par le Traité de Maastricht sont d’une importance critique afin de définir la politique révolutionnaire à l’époque post-soviétique. La question russe comme nous l’avons connue sera moins une pierre de touche de la politique révolutionnaire, mais par contre prendra sa place en chef de file des expériences historiques du prolétariat, avec la Commune de Paris, la Révolution allemande de 1918 et la guerre civile espagnole. Elle restera l’exemple historique décisif—le plus-haut point atteint de nos jours par le mouvement ouvrier international—et un qui retient des leçons incomparables pour les révolutionnaires. Mais elle ne sera pas directement impliquée dans le calcul de chaque question de politique globale, comme par le passé. Les questions posées par les rapports entre nos « propres » souverains impérialistes et leurs rivaux sont par conséquent plus clairement centrales maintenant à la politique révolutionnaire qu’auparavant. La course entre la conscience prolétarienne et le prochain rond de conflits impérialistes déterminera le futur de l’humanité.

La conscience prolétarienne peut sembler perdre la course. Les éléments essentiels de la situation actuelle—un ralentissement économique, l’explosion de haines ethniques et nationalistes, la rivalité croissante entre les nations capitalistes et les blocs impérialistes—sont largement familiers des situations précédentes entre les deux guerres mondiales. Un ingrédient toutefois manque: un prolétariat socialiste et militant. En dépit de la désindustrialisation en Amérique du Nord et en Grande Bretagne, et la croissance du secteur tertiaire, la classe ouvrière retient toutefois encore le poids social organisé et le pouvoir économique pour diriger tous les opprimés dans un assaut réussi contre l’ordre social existant. La dispersion du développement industriel dans les anciennes colonies et néo-colonies augmente vastement la dimension internationale et le poids social de la classe ouvrière.

La composition du prolétariat dans les centres impérialistes stratégiques change aussi, mais sa conscience de classe et sa volonté politique ont été érodés par les trahisons innombrables des staliniens et sociaux-démocrates, aussi bien que par les illusions créées par la prospérité relative des décennies d’après-guerre. Mais il est précisément ce standard de vie accoutumé d’après-guerre qui est sous attaque partout dans les pays impérialistes aujourd’hui. Pour riposter, la classe ouvrière a besoin de la théorie et l’entraînement politique le plus avancé que l’histoire de la lutte de classe peut fournir. Cette théorie et entraînement politique le plus développé est toujours le marxisme, peu importe son impopularité temporaire due à une identification fausse avec le stalinisme. La classe ouvrière découvrira le marxisme de nouveau, mais seulement si ses prémisses de base—la première parmi elles l’indépendance politique de la classe ouvrière—sont gardées jalousement contre la pression implacable de la réaction bourgeoise à l’époque du déclin capitaliste.